" De son vivant E.M.Forster, britannique féru de respectabilité, avait veillé à dissimuler ses frasques, littéraires y compris. Elles semblent maintenant bien anodines. Pourtant plusieurs de ces récits ont quelque chose de corrosif. C'est l'humour qui sert de révélateur. Un humour parfois cocasse, le plus souvent féroce. Ce recueil exprime aussi dans une langue admirable, la rencontre d'un homme du Nord et de la sensuelle Italie au temps, aujourd'hui révolu, où ces différences de climat et de culture avaient une valeur irréductible : Un certain nombre des treize nouvelles de ce recueil traitent donc de l'homosexualité, comme son roman Maurice.
Un fil plus ténu relie ces treize récits l'un à l'autre, dans chacun d'entre eux, un événement, une rencontre imprévue vient craqueler cette façade de respectabilité.
Dans « Albergo Empédocle », le personnage d'Harold, délaissant sa fiancée Mildred Peaslake, s'endort-il du sommeil d'Endymion hors du sentier qui mène au temple, entre deux fûts de colonne : « Son corps déborde de vie, plein de la générosité de la terre et de la chaleur du soleil », un abandon inadmissible pour un citoyen de Sa Gracieuse Majesté, toujours soucieux d'un spectateur éventuel.
Dans « L'obélisque » et « Arthur Snatchfold », c'est un peu plus choquant :
« L'obélisque » relève tout à fait de l'humour anglais traditionnel, par son côté voleur-volé, arroseur-arrosé ; en l'espèce il s'agirait plutôt de la cocufiante-cocufiée...
« Arthur Snatchfold » se rapproche plutôt deMaurice mais comme le héros de Mort à Venise, un veuf, Sir Richard Conway, fait un jour la rencontre de la Beauté, pas sous les traits d'un blond éphèbe, déambulant dans le hall d'un hôtel de luxe, mais sous les traits d'un laitier musclé : chacun sait que le cliquetis matinal du « milkman » rythme autant la vie d'un Anglais qui se respecte que le rituel thé de l'après-midi ! Un peu plus tard Conway, en échancrant le col de chemise de Snatchfold, s'aperçoit, comme Hilda dans « L'obélisque » ou « Maurice » dans le roman qui porte son nom, que la gorge d'un laitier, d'un marin ou d'un garde-chasse ouvre plus d'horizons au désir que celle d'un aristocrate ou d'un instituteur.
Bien que, dans tous les nouvelles, Forster tourne le commutateur électrique un peu trop tôt, il suggère magnifiquement l'orgasme, par l'évocation fugace du décor environnant.
Par la bouche de Snatchfold, se découvre le message et la vraie morale de cet instant d'éternité :
« Qu'est-ce que ça peut bien leur faire, aux autres, si cela ne nous fait rien à nous ? »