Chronique initialement publiée sur mon blog : http://nebalestuncon.over-blog.com/2019/10/a-thousand-sons-de-graham-mcneill.html


Lu en VO, A Thousand Sons.


Retour aux bouquins Warhammer 40,000, et plus précisément à la série « The Horus Heresy ». Ma dernière lecture à cet égard, c’était le désastreux Descent of Angels de Mitchel Scanlon – de quoi dériver un fâcheux « Non, merci, plus jamais ça » tristement définitif. Pourtant certains titres continuaient à me faire de l’œil… et je me suis dit, enfin, écoutant la voix de la sagesse, que je n’étais pas obligé de tout lire dans cette colossale saga. Alors j’en ai sauté quelques volumes, cinq en fait – dont certains sur lesquels je reviendrais bien ultérieurement, comme Légion de Dan Abnett et surtout Mechanicum de Graham McNeill, les deux meilleurs auteurs de la série jusqu’alors (avec une préférence pour le second en ce qui me concerne, responsable des Faux Dieux et de Fulgrim)… et il se trouve que le bouquin dont je vais vous causer aujourd’hui est signé Graham McNeill, et forme un diptyque avec un autre bouquin signé cette fois Dan Abnett – étonnant, non ?


C’est que j’ai voulu me pencher sur un épisode majeur de l’Hérésie d’Horus : la chute des Thousand Sons, la légion de Magnus le Rouge, avec comme moment clef l’assaut mené par les Space Wolves sur Prospero. A Thousand Sons (Un millier de fils en french in ze texte), douzième livre de la série, contextualise et rapporte ces événements pour l’essentiel du point de vue des Thousand Sons – mais il fonctionne donc en binôme avec le tome 15 de « The Horus Heresy », soit Prospero Burns (Prospero brûle, donc), de Dan Abnett, qui développe à vue de nez plutôt le point de vue des Space Wolves (et qui a, pour autant que je sache, une excellente réputation pour un roman Warhammer 40,000).


Cette histoire est d’une ampleur mythique impressionnante, aussi glorieuse que navrante, épique et terrible – comme il sied à l’Hérésie d’Horus, cet affreux gâchis bigger than life qui décide de dix mille années de guerres à venir. Elle figure des personnages à la stature colossale, semi-divine, et d’autres héros plus complexes. Or les Thousand Sons sont une des pistes que j’ai envie d’explorer pour une éventuelle seconde armée à Warhammer 40,000 – je me suis donc dit qu’il pourrait être intéressant d’en savoir un peu plus sur eux avant de me lancer dans des achats, d’où ces lectures, rendues plus attrayantes par le nom des auteurs, et tout spécialement celui de Graham McNeill.


À vrai dire, ce dernier reproduit ici pas mal ce qu’il avait fait dans Fulgrim (mais peut-être aussi du coup Dan Abnett dans Légion ?) : c’est le récit de la chute des héros, avec une longue mise en place qui rend inévitable le moment de fauter et de sombrer – un mythe des origines en forme de tragédie grecque, segmentée en trois actes ici, où le destin a comme de juste sa part. Magnus le Rouge renvoie à Fulgrim, et le goût en définitive fatal de la connaissance chez les Thousand Sons rappelle l’intérêt à terme morbide pour l’art et les lettres chez les Emperor’s Children en quête de perfection – et, dans les deux livres, ces nobles passions incitent le lecteur à la sympathie pour les futurs hérétiques, dans un premier temps du moins, même s’il sait très bien que Tzeentch veille d’un côté, et Slaanesh de l’autre. D’autant que, dans les deux cas, la légion qui est dépeinte en train de chuter se retrouve confrontée à une autre légion spécifique, loyaliste quant à elle et qui le restera, ici les Space Wolves, là les Iron Hands, et si les membres de ces dernières et leurs primarques font figure de brutes épaisses, intellectuellement repoussantes, dans l’univers perverti de Warhammer 40,000 alors en gestation, elles ont tristement… « raison ». Le récit de la déchéance est inévitablement ponctué de batailles assurément épiques, une par acte, et qui ont toutes leur spécificité (ce qui n’est pas le moindre atout de Graham McNeill, pour ce que j’en ai lu – trop de bouquins Warhammer 40,000 font dans la baston permanente, mécanique et parfaitement interchangeable, je vous causais de La Chute de Damnos il y a peu, mais, ici, il y a toujours le truc qui fait qu’on s’y intéresse et qu’on s’en souvient, outre qu'il y a beaucoup d'autres choses en dehors des batailles). À l’arrière-plan, les commémorateurs illustrent le propos sur un plan plus humain – et plus ou moins nécessaire, à vrai dire. Car les tares de Fulgrim se retrouvent également ici, et A Thousand Sons, qui est plus long que votre roman 40K lambda, est probablement un peu trop long.


Détaillons un peu plus l’histoire – ce qui implique des SPOILERS seulement pour qui n’en connaîtrait pas déjà les grandes lignes : A Thousand Sons contextualise et développe, mais les moments clefs des deux derniers actes sont bien connus des adeptes du lore de Warhammer 40,000 sans avoir à lire ce roman. Ceci dit, méfiance si vous n’êtes pas de ces adeptes et êtes en plus allergiques aux révélations intempestives mais néanmoins curieux de lire ce genre de bouquins, car… euh, je vais tout raconter, même si à gros traits et en m’en tenant à l’essentiel.


Le premier acte est une longue mise en place. Les Thousand Sons se trouvent sur la planète Aghoru – où ils s’attardent un peu trop au goût des autres légions, et tout spécialement des Space Wolves, avec leur barbare primarque Leman Russ, qui auraient bien besoin de leur soutien dans tel ou tel théâtre d’opérations de la monumentale Grande Croisade. C’est que le primarque des Thousand Sons, Magnus le Rouge, est intrigué par des découvertes archéologiques majeures sur cette planète isolée – il y a des choses à en apprendre, et, pour les Thousand Sons, la connaissance est la vertu cardinale. Au risque de jouer avec le feu, et la conclusion de ce premier acte en sera une démonstration éloquente… tout en incitant d’ores et déjà à envisager le passé trouble de la XVe légion, avec l’idée d’un pacte méphistophélique, conclu par Magnus avec des entités du Warp qu’il ne comprend pas, destiné à libérer ses « fils » de leur malédiction génétique, mais aussi en présageant du futur, et concrètement de l’Hérésie d’Horus (qui ne s’est pas encore déclenchée quand le roman débute – et n’a encore rien d’officiel quand il s’achève), mais aussi, éventuellement, de la destruction de Prospero… Le type même d’avertissement qu’on ignore parce qu’on refuse d’y croire, en même temps que la malédiction de Cassandre s’abat sur ceux qui seraient davantage disposés à ouvrir les yeux. Le vrai héros de cette histoire, Ahriman, oscille entre ces deux tendances.


Le deuxième acte s’ouvre sur la colossale bataille d’Ullanor, opposant l’Imperium aux Orks – mais Graham McNeill n’en fait pas trop : on n’assiste qu’à quelques épisodes éparts du combat, la grosse bataille de ce roman sera pour plus tard. C’est un triomphe – mais pas sans conséquences, et de taille : l’Empereur annonce qu’il est temps pour lui de retourner sur Terra, et il confie la poursuite de la Grande Croisade à son fils préféré, Horus. Mais une autre affaire concerne plus spécialement les Thousand Sons : Magnus le Rouge est convoqué sur Nikaea, où se tiendra… un concile. Forcément. Le Roi Pourpre s’y rend très confiant, et ne réalise que bien tardivement que c’est en fait de son procès et de celui de sa légion qu’il s’agit… L’objet du concile est de trancher la « crise des archivistes » – ainsi que l’on désigne les psykers au sein des légion de Space Marines –, mais ce sont bien les Thousand Sons qui sont concernés au premier chef, eux qui manipulent les énergies du Warp avec bien trop de nonchalance, à en croire leurs détracteurs, tous portés à la superstition et à l’ignorance bigote (et tous passablement hypocrites !), tout spécialement Leman Russ des Space Wolves et Mortarion de la Death Guard (qui présente pourtant déjà, et assez logiquement au fond, des signes de sa corruption par Nurgle). : les Thousand Sons, à les en croire, ne seraient qu’un « convent de sorciers », et les laisser continuer de la sorte pourrait avoir des conséquences fatales : ne sont-ce pas les psykers qui ont plongé l’humanité dans la Longue Nuit ? C’est un coup dur pour Magnus – et il choisit d’ignorer les résolutions du concile… qui, au passage, a interdit l’usage des psykers dans toutes les légions, et je ne sais pas dans quelles circonstances on y est revenu après coup.


Avec le troisième et dernier acte, la tragédie des Thousand Sons passe la mesure (ce n’est certainement pas une critique : on fait dans le gros mythe ultra épique, ici). De retour sur leur monde originel de Prospero, Magnus et ses fils cultivent plus que jamais les arts occultes. Mais le primarque réalise qu’Horus va trahir l’Imperium, et, s’il a désobéi aux ordres de son père résultant du concile de Nikaea, il demeure farouchement loyaliste, tel qu’il voit les choses : il essaye d’interférer dans le processus devant aboutir à la corruption du Maître de Guerre – sans succès. Alors, il entend au moins en prévenir son père, avant qu’il ne soit trop tard : il use pour cela d’un sortilège de grande ampleur, nécessitant moult sacrifices… et les conséquences sont catastrophiques. L’Empereur ignore les avertissements de Magnus : tout ce qu’il voit, c’est que le Roi Pourpre lui a désobéi, et au vu et au su de tous – furieux, il envoie les Space Wolves punir les Thousand Sons (il semblerait qu’Horus y a eu sa part, peut-être Prospero brûle en dira-t-il davantage à ce propos). La légion emmenée par Leman Russ frappe sans prévenir : il s’agit d’anéantir Prospero et les Thousand Sons. Magnus, horrifié, reste calfeutré dans sa tour – réalisant son erreur un peu tard, il considère à ce stade que le seul moyen de demeurer loyal à son père consiste à ne rien faire pour prémunir sa légion de l’anéantissement… Une trahison de plus ? Mais les Thousand Sons, avec ou sans le soutien de leur primarque, ne comptent pas se laisser massacrer par les loups de Leman Russ – Ahriman, tout spécialement, ne mange pas de ce pain-là : la bataille est totalement déséquilibrée, la planète et la légion sont condamnées, mais ils se battront jusqu’au bout, eux qui ne se sont jamais perçus comme des traîtres à l’Empire, bien au contraire même. Et là je peux vous assurer qu’on fait dans le sacrément épique, avec des saynètes d’une puissance d’évocation admirable…


En dernier ressort, pourtant, Magnus ému par le sort de ses fils se joint au combat, affrontant en personne Leman Russ. Et quand tout est perdu ou presque, il fait usage d’un ultime sortilège, en évacuant la capitale de Tizca sur un autre monde au cœur du Warp – ce sera la Planète des Sorciers… Mais le Warp réveille les mutations génétiques latentes des Thousand Sons – le déterminé Ahriman y mettra bientôt un terme, avec sa rubrication… et tout ne sera plus que poussière. À ce stade, la partie est perdue : ils ne le désiraient pas spécialement, et jusqu’à la dernière minute, mais les Thousand Sons sont alors voués à servir le Chaos, Tzeentch plus précisément – leur loyalisme parcellaire les a précipités dans l’hérésie, et ils seront bel et bien, tout au long de la Longue Guerre, ce « convent de sorciers » qui avait été si injustement dénoncé à Nikaea. Et ils chercheront à se venger de l’Imperium et des Space Wolves…


Il s’en passe, des choses, hein ? Et avec le ton qui va bien. Oui, répétons le mot : A Thousand Sons est une tragédie – et si l’esthétique de la XVe Légion et de Prospero renvoie clairement à l’Égypte antique, c’est quelque chose de grec qui infuse tout du long, dans ce récit qui fait l’effet d’un triste gâchis, fatal mais d’autant plus navrant, comme un condensé du tableau plus général de l’Hérésie d’Horus.


Mais si cette histoire fonctionne aussi bien, au-delà du seul art narratif de Graham McNeill, très professionnel mais pas au point de manquer d’âme (on ne tranchera pas la question du style, guère pertinente ici, mais c’est plutôt honorable dans son genre, je suppose), cela tient probablement aux personnages mis en scène, très différents, très singuliers, globalement très bien vus. Deux, surtout, doivent être mis en avant, dont les rapports complexes font une bonne partie du sel du roman : Magnus le Rouge, et Ahriman.


Le primarque des Thousand Sons est forcément au-dessus de tous les autres. C’est un géant, à tous points de vue, un colosse – mais pas une brute. Son désir de connaissance, absolu, et qui précipitera sa perte, suscite à vue de nez plutôt la sympathie du lecteur – même si, encore une fois, il y a cette ambiguïté fondamentale de l’univers de Warhammer 40,000 qui fait du savoir une menace et de l’ignorance une bénédiction… C’est en fait au cœur du propos. Mais, si la soif de connaissance a incontestablement sa part dans la déchéance du Roi Pourpre, le vrai souci est peut-être ailleurs – et c’est l’arrogance de Magnus. Voilà un être qui s’est toujours considéré comme largement supérieur à tous les autres. À bon droit souvent : c’est un primarque, après tout, un surhomme conçu comme tel. Mais la conviction qu’a Magnus de sa supériorité s’étend à absolument tout le monde – en y incluant les autres primarques, mais aussi, encore qu’il ne s’en rende pas forcément compte, l’Empereur (c’est bien ce qui fait enrager ce dernier !)… et enfin ces entités du Warp dont il n’a jamais bien perçu le potentiel menaçant avant qu’il ne soit trop tard. En fait, Magnus, au-delà de son attrait pour le savoir, n’est pas sympathique – ce n’est pas un héros. Et, pire encore, on a toujours plus envie de le baffer au fur et à mesure qu’il enchaîne les mauvais choix. Car il ne fait que ça tout au long de A Thousand Sons : cet être censément si intelligent, si parfait, prend systématiquement les pires décisions, parce que son arrogance ne lui permet pas de faire autrement – la scène est révélatrice, du Roi Pourpre gagnant Nikaea en étant persuadé que ce sera son triomphe, quand c’est sa condamnation qui l’attend en vérité… Magnus, en fait, aveuglé par sa propre gloire, et par la dévotion que ses fils lui vouent, se trompe, et s’est toujours trompé : il a fait le mauvais choix pour mettre un terme à la malédiction génétique de son Millier de Fils, ou sur Aghoru, ou sur Ullanor, ou à Nikaea, ou en tentant d’interférer dans la corruption d’Horus, ou bien sûr dans sa très maladroite tentative de prévenir son père du danger, et après cela il enchaîne les erreurs sur Prospero en flammes, son indécision entraînant des milliers de morts dans les rangs de ses fils, avant de parachever le sort funeste de sa légion en exilant Tizca dans le Warp.


Il lui fallait une contrepartie, plus sympathique, plus humaine (mais dans une certaine mesure seulement, comme de juste : c’est un Space Marine, après tout), et plus héroïque (d’une certaine manière, là encore) – et c’est Ahriman, un des personnages les plus attrayants et complexes de l’univers de Warhammer 40,000, le sorcier par excellence (un des plus puissants du jeu, à vrai dire). Ahriman étant membre des Thousand Sons, et donc des Space Marines du Chaos, on pourrait avoir tendance à y voir par essence, au 41e millénaire en tout cas, un « méchant », du moins si l’on s’attache à une lecture très premier degré de cet univers – sauf que dans cet univers, il n’y a pas de gentils, l’Imperium n’est certainement pas gentil, et le qualificatif de « méchant » n’a donc pas forcément de sens, relativement. Mais cet Ahriman des origines, dans tous les cas, n’a rien de maléfique : à la différence de l’arrogant et finalement borné Magnus, Ahriman suscite bel et bien la sympathie, et tout du long. Si les autres officiers supérieurs de la XVe Légion cultivent l’arrogance de leur primarque, et font preuve du dédain habituel des Space Marines pour les humains, Ahriman, en même temps qu’il est plus puissant que tous, se montre plus ouvert et généreux envers ceux qui lui sont inférieurs. Il n’est certes pas sans cynisme, loin de là, mais, dans ce roman, il se montre finalement très moral tant que la situation n’est pas totalement désespérée, ce qui le rapproche des commémorateurs humains qui accompagnent les Thousand Sons (même si, pour le coup, ils en feront les frais à terme). Surtout, lui n’est pas arrogant : il doute, il n’a pas une confiance absolue en ses capacités ou en celles des Thousand Sons, il entrevoit les menaces derrière le voile, quelles qu’elles soient et quel que soit le voile. Il a des émotions, aussi – en cela, il est humain. Au fond, sa tare, dans cette histoire, c’est la confiance qu’il voue à un autre : son primarque Magnus le Rouge. Ahriman est un personnage qui va de déception en déception, en fait – et cela aussi le rend humain et sympathique. Il est courageux, enfin – et, à terme, il ne se laisse pas indéfiniment marcher sur les pieds : si cela lui en coûte énormément, il ose en définitive dire quand son primarque ou ses comparses se trompent – et il prend des initiatives, au risque de la désobéissance, dont il s’accommode même dans la douleur, quand la subordination aveugle équivaudrait au plus absurde des suicides ; c'est le type qui prend les choses en mains quand tout s'effondre autour de lui. Ce n’est sans doute pas un hasard si le roman se conclut sur une phrase lapidaire annonçant la rubrication à venir – et par-là même les relations très tordues que le sorcier entretiendra avec son primarque dans les dix mille années qui suivraient. Ahriman est clairement un atout majeur de ce roman.


Et, oui, avec ses défauts, A Thousand Sons m’a fait l’effet d’une réussite. En fait, c’est probablement le roman Warhammer 40,000 que j’ai préféré jusqu’à présent. Et comme le précédent était probablement Fulgrim (même s’il présentait plus de défauts encore), eh bien, cela entretient mon sentiment que Graham McNeill est un des auteurs Black Library les plus doués, et que son nom sur la couverture peut inciter à d’autres lectures.


Ceci étant, la prochaine, ce sera donc un roman de Dan Abnett : Prospero Burns, le reflet de A Thousand Sons, où le point de vue est celui des Space Wolves. Forcément, les brutes poilues de Leman Russ m’inspirent moins de sympathie que les sorciers de Prospero à première vue, mais le roman a pour ce que j’en sais une très bonne réputation, alors on verra bien…

Nébal
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le 16 oct. 2019

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