Le moins que l’on puisse dire c’est que le premier roman de Joe Flanagan a suscité l’enthousiasme de la critique, devenue quelque peu dithyrambique à son sujet, convoquant ainsi les plus grands maîtres du polar et du roman noir, évoquant les influences les plus prestigieuses du genre. Avouez tout de même qu’un auteur sorti de nulle-part et comparé sans coup férir à James Ellroy a de quoi intriguer et la revue de presse a sans aucun doute grandement flatté Joe Flanagan tout autant qu’elle l’a probablement embarrassé car les éloges démesurés ont toujours quelque chose de malséant. Nous éviterons, même si nous avons bien compris le sens de la comparaison, les parallèles oiseux et un peu boiteux avec le quattuor Los Angeles de James Ellroy, qui n’a guère de commun avec le roman de Joe Flanagan que d’être un polar et de se dérouler à la même époque. J’entends bien, les deux romans mettent en scène un combat de flics (flics pourris vs bons flics), mais là où Ellroy se montrait beaucoup plus complexe et fin, Flanagan se veut davantage manichéen, son personnage de méchant étant bien plus monolithique, qu’au hasard, un certain Dudley Smith. Loin de moi l’idée de porter au pinacle James Ellroy au point de ne supporter aucune comparaison, mais il me semble que les oeuvres des deux auteurs ne portent pas exactement la même ambition.


Le roman de Joe Flanagan se déroule donc dans les années cinquante, du côté de Cape Cod, prestigieuse station balnéaire du Massachusetts marquée par l’épisode du Mayflower et bastion de la dynastie Kennedy (et de nombre de familles bostoniennes aisées). William Warren, ancien flic de Boston, est venu s’installer dans le comté de Barnstable et y exerce les fonctions de lieutenant et assure même depuis peu la suppléance du capitaine de la police. Mais son intégration est loin d’être la réussite attendue, très respectueux des règles et de la procédure, il refuse d’entrer dans le système clientéliste propre à ces petites villes bourgeoises de province, où tout le monde est censé se serrer les coudes et pratiquer le népotisme, au mépris parfois des lois. Warren est vu comme le vilain petit canard qui refuse, par mépris ou par élitisme, de devenir l’un des leurs. Et puis il y a sa situation personnelle, qui alimente elle aussi la rumeur et les commérages faciles. Depuis que sa femme, alcoolique notoire, a quitté le domicile, Warren élève seul son fils, atteint d’un handicap mental sévère. Une situation un peu difficile mais qui aurait pu être gérable si le comté n’avait pas subitement été le théâtre d’une sordide série de meurtres d’enfants. L’affaire est bien trop explosive et médiatique pour relever de la police locale et la police d’Etat, menée par le très charismatique enquêteur Dale Stasiak, flic aux méthodes musclées et quelque peu discutables, est envoyée sur place. Dépossédé de l’affaire, Warren a du mal à accepter d’avoir été mis sur la touche, mais surtout, l’attitude de Stasiak, personnage violent et imbus de lui-même, lui paraît détestable au-delà du raisonnable.


Sombre et quelque peu désespéré dans son approche initiale, le roman de Joe Flanagan a tout du récit maîtrisé de bout en bout. C’est plutôt bien écrit et bien construit, l’intrigue est prenante et entraîne le lecteur sur différentes pistes avant de trouver une issue assez logique mais plutôt classique. Le tout soutenu par un suspense raisonnable et une ambiance, qui, époque oblige, n’est effectivement pas sans rappeler l'univers d’Ellroy. Flics pourris contre flics vertueux sur fond de corruption et de népotisme, voilà qui n’est pas forcément d’une originalité folle, mais qui a le mérite de bien fonctionner. En revanche on restera un peu plus circonspect sur certains personnages du roman. Autant Warren est un personnage bien construit, relativement complexe et, même si l’on en cerne rapidement les contours, capable de surprendre le lecteur, autant la plupart des personnages secondaires sont très largement sous-exploités, voire parfois quelque peu stéréotypés. C’est le cas de Dale Stasiak, flic violent et corrompu jusqu’à coeur, tellement monolithique dans sa caractérisation qu’il en deviendrait presque fade tant il est prévisible. Joe Flanagan semble avoir oublié que ce qui rend un personnage de méchant intéressant, c’est la complexité de sa personnalité, ses multiples facettes encore entachées d’un peu d’humanité comme ses contradictions. Stasiak est trop peu nuancé pour susciter l’intérêt plus de quelques pages. Certaines ficelles scénaristiques sont également un peu grosses et laissent le lecteur quelque peu sceptique face à ce qui apparaît comme une facilité de la part de l’auteur. Tout comme on restera dubitatif concernant la fin du roman, que je me garderai bien de vous révéler néanmoins, mais vous aurez sans doute compris qu’elle tranche très largement avec la noirceur initiale du roman. Ceci dit, on suivra avec intérêt les prochaines oeuvres de Joe Flanagan, dont le potentiel est indiscutable, mais qui manque encore un peu de métier. N’est pas Ellroy qui veut.

EmmanuelLorenzi
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le 3 nov. 2020

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