Du roman noir dont il s’inspire, Yves Ravey emprunte la tension tragique, la simplicité des personnages (le repris de justice, le notaire au-dessus de tout soupçon, la mère courage), la grisaille de la ville, le bruit des camions sur la route, la décapotable rouge… c’est sa manière de gagner du temps. Ensuite, il se focalise sur un phénomène dont il concentre les potentialités jusqu’à la détonation finale.
Ici, cela prend la forme de l’inquiétude d’une mère – mais n’est-ce pas le propre des mères d’être inquiètes ? qui sent « qu’il va arriver malheur » à sa fille. Elle ne sait ni d’où ni quoi ni quand ; alors elle arpente la ville sur son vélomoteur, elle donne à l’aveugle des coups d’épée dans le vide, tout cela dans l’espoir infatigable d’éviter l’inévitable. C’est servi par une écriture dense et nerveuse, une approche quasi phénoménologique des choses et des gens, de leurs relations, de leur pathétique impuissance à échapper à eux-mêmes. Et comme c’est reposant ce renoncement à la psychologie…
Et puis, un auteur moderne qui renoue avec l’économie de moyens chère aux classiques parce qu’il a comme hâte d’en finir, c’est tout simplement réjouissant. Yves Ravey écrit comme si le temps lui était compté. C’est un écrivain pressé.