Un pays à l'aube par rivax
Après nous avoir fait parcourir, notamment en compagnie de son célèbre couple de détectives Kenzie et Gennaro, le Boston d'aujourd'hui, ses bas-fonds et ses quartiers communautaires, Dennis Lehane nous ramène avec son dernier roman "Un pays à l'aube" quelques décennies en arrière, dans le Boston d'avant les années 20.
C'est l'heure du retour au pays pour les soldats américains partis combattre en Europe, d'où ils rapportent le virus de la grippe espagnole. Un retour pas si glorieux, dans un pays touché par une grave crise économique et dont une grande partie de la population vit dans la misère et travaille dans des conditions déplorables. Dans ce contexte, les mouvements syndicaux et anarchistes recrutent sans peine, et les manifestations de mécontentement se multiplient. La situation va dégénérer, et prendre des allures de guerre civile... grévistes contre policiers, ouvriers contre "bolchéviques", blancs contre noirs, le climat de revendication sociale devient l'occasion pour chacun de manifester sa haine de l'autre et de sa différence.
Ceux qui le connaissent savent que ce qui caractérise entre autres les romans de Dennis Lehane, c'est sa capacité à faire vivre ses personnages au point de nous les rendre presque palpables, et d'instaurer comme une intimité entre eux et nous.
"Un pays à l'aube" ne déroge pas à la règle. On y croise des individus plus ou moins fréquentables et plus ou moins attachants, mais qui ont tous un point commun : il est difficile de les oublier une fois que l'on a fait leur connaissance. Qu'ils soient tiraillés entre le devoir et leurs sentiments, broyés par un système au sein duquel ils peinent à trouver leur place, victimes de circonstances malheureuses, qu'ils soient justes ou cyniques, faibles ou cruels, ils sont représentatifs du meilleur comme du pire dont l'homme est capable.
Les amitiés ou les amours qui les lient, les haines qui les opposent, sont traitées avec une justesse remarquable, et suffirait à rendre le récit passionnant, mais ce n'est pas tout...
Car Dennis Lehane n'est pas qu'un portraitiste de talent. Il est aussi un extraordinaire conteur d'histoire(s), qualité qui dans "Un pays à l'aube" prend toute sa mesure.
Il a su donner à son roman ce souffle épique, cette habile osmose entre destins individuels et grande Histoire qui font que vous êtes littéralement happés, passionnés.
Tout comme il donne le sentiment d'avoir capté l'essence même de ce que fut le Boston de ce début de siècle, et d'avoir appréhendé le caractère fondamental d'événements dans lesquels se devine le ferment de ce qui ce deviendra "la grande nation américaine", dans toutes ses contradictions, ses espoirs et ses limites.
C'est un projet ambitieux auquel s'est attelé Dennis Lehane avec "Un pays à l'aube". Et c'est tant mieux pour nous, car le résultat en est un roman foisonnant, captivant, magistral, à lire AB-SO-LU-MENT !