Je m’attendais à un énième récit larmoyant, chargé en excès pathétiques, à des œuvres comme La Liste de Schindler ou La Rafle, véritables tracteurs agricoles qui tirent à pleine puissance sur la corde sensible pour produire des larmes d’empathie mais non, Un Sac de Billes évite astucieusement ça.
D’emblée, le narrateur, jeune enfant d’environ huit ans, fait part de son ignorance hébraïque : il ne sait pas ce que c’est que d’être juif, il ignore la signification de ce mot. On le voit vivre comme un enfant de son âge, sans se soucier de ça, et cette absence de revendication inhérente à la candeur enfantine est agréable.
Tout le récit est vécu à travers ses yeux candides, qui perdent en innocence à mesure de la découverte des humains et de leur médiocrité, de l’apprentissage de la vie et de son absurdité camusienne.
Les deux jeunes frères se débrouillent comme ils le peuvent, lâchés au milieu d’un pays occupé par l’ennemi, rencontrant tout genre de sires, ayant affaire à l’hospitalité et la solidarité autant qu’à l’ignorance et à l’indifférence.
Ce que j’ai aussi aimé, c’est que Joffo a reconnu avoir de la chance, notamment avec la vieille dame dans le train ou le comte, qui a eu toute ma sympathie tant je me retrouvais dans ses propos et ses idées, il sait que sa vie aurait pu s’achever si quelques détails avaient été différents, il ne se fait pas passer pour un surhomme.
La scène de la libération est également dépeinte de manière très naturelle, j’ai bien aimé l’absence de liesse et de transition. La France est libérée, oui, mais personne n’est dans la rue pour autant, car les habitudes de l’Occupation sont ancrées, et même Joffo sait qu’il aura encore le réflexe de se cacher, pas parce que c’est bien ou mal, mais parce que c’est comme ça. Les habitudes sont pernicieuses, ce sont elles plus que la violence qui peuvent soumettre un peuple.
Mention spéciale au personnage d’Ambroise, antisémite pétainiste convaincu qui garde Joffo chez lui en ignorant son « statut » de juif. C’est un être bouffi de fatuité et tellement lâche et pleutre à la fois. Son traitement n’est pas manichéen, il mêle propos antisémites et bienveillance paternelle en même temps, et Joffo l’épargnera de la vindicte des Résistants une fois le village libéré. Pas de vengeance inutilement grandiloquente et violente.
Lecture agréable car non moralisatrice. Deux points bonus en prime : un pour l’empathie éprouvée envers les deux frères vêtus d’un simple short et d’un chandail fin en plein hiver, et un pour le personnage du comte.