Underground
7.4
Underground

livre de Haruki Murakami (1997)

Une plongée dans le métro de Tokyo en 1995

Ce livre n’est pas un roman même s’il est signé par Haruki Murakami, c’est un recueil de témoignages de survivants et survivantes de l’attaque du métro de Tokyo le 20 mars 1995 au gaz sarin, simultanément sur plusieurs lignes bondées vers 8h00 le matin. Cette attaque a été réalisée par la secte Aum, déjà responsable en 1994 de l’attentat de la ville de Matsumoto avec le même gaz. A Tokyo, le bilan est de 13 morts et des milliers de blessés. Murakami a voulu comprendre comment le Japon, censé être un des pays les plus sûrs du monde, a pu laisser se perpétrer cet attentat dont le bilan aurait pu être plus lourd (certaines poches de sarin n’ayant pas été percée par les terroristes). Comment l’attaque de Matsumoto n’a-t-elle pas plus alerté les autorités ? La société japonaise dans son ensemble n’a-t-elle pas une part de responsabilité dans les actes criminels de ces membres d’Aum ? N’est-il pas trop facile de les classer dans la catégorie des « monstres » (en dehors de l’humanité) et de faire comme si le problème était réglé en les condamnant ? Voilà quelques-unes des questions que Murakami se pose. Alors qu’il vivait depuis quelques années aux États-Unis, l’auteur se trouvait au Japon lors des attentats de Tokyo et il a décidé pendant un an d’écouter et recueillir la parole de survivants et survivantes, ceux et celles (pas si nombreux) qui ont accepté de témoigner avec bien sûr un droit de regard et de correction sur le texte final. Comme il le dit : « mais d’où cela a-t-il bien pu sortir ? »

Certains n’ont témoigné que sous pseudonyme, par peur de représailles de la secte qui existe toujours sous un autre nom. Ces victimes sont plus ou moins marquées par les séquelles, certaines n’ont été que faiblement touchées mais n’arrivent pas à oublier ce qui s’est produit. D’autres en gardent des séquelles bien plus graves : Murakami a discuté avec une femme très diminuée à l’hôpital avec des lésions neurologiques graves, sous la supervision de son frère qui comprend par habitude les quelques mots qu’elle arrive à prononcer. Tous et toutes nous racontent les mêmes scènes, avec des détails qui diffèrent mais qui permettent de mieux reconstituer ce qui s’est passé. Il a aussi interrogé des familles de défunts. Cet attentat a eu des répercussions selon lui pour le Japon aussi fortes que celles du tremblement de terre de Kobe en janvier 95. Un attentat qui a mis en évidence des failles dans le système de prévention et de gestion des risques dans le pays. Mais le livre ne s’arrête pas là car Murakami a aussi réalisé une série d’interviews de membres de la secte en 1997 pour la presse, nommée « Post Underground ». Ce sont des personnes qui ont depuis quitté la secte ou qui y sont encore. L’auteur veut démonter à travers ces récits la mécanique d’embrigadement, le contrôle exercé sur les membres et puis les pressions et violences qui y sont apparues presque immédiatement de la part du gourou mais aussi de ses bras droits : certains parlent de tortures voire d’assassinats au sein de la secte, violences sexuelles. Une jeune femme ayant refusé les avances du gourou, sous le prétexte d’atteindre « un niveau supérieur d’illumination », s’est vue soumise à des électrochocs dont elle garde des traces sur le crâne et qui lui ont fait perdre la mémoire sur 2 ans (1993 à 1995). De cette période, elle n’a plus que quelques flashs, quelques souvenirs qui lui reviennent…Qu’est-ce qui a poussé les terroristes à passer à l’acte ?

Bien sûr, les personnes qu’il interroge ne sont pas personnellement responsables de l’attentat du métro de Tokyo, il n’est pas question de mettre sur le même plan les victimes, familles de victimes et les membres de la secte (Murakami insiste bien là-dessus) mais il s’agit de comprendre ce qui a permis ce crime minutieusement préparé et ayant échappé aux autorités, d’interroger enfin la mentalité et la société japonaises : beaucoup de japonais(es) voyant des victimes touchées par le gaz, effondrées sur les quais du métro ou dans les rues, ont préféré poursuivre leur chemin par peur d’être en retard au travail. Beaucoup aussi, très touchées par le sarin, sont tout de même, envers et contre tout allées travailler avant de s’effondrer…

JOE-ROBERTS
8
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le 12 févr. 2025

Critique lue 3 fois

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