Le Flamand rosse
Enquêter sur des faits anciens et nous plonger dans une histoire basée sur la vérité historique, agrémentée de l'inspiration crédible du romancier, beaucoup d'écrivains s'y sont essayé mais peu...
le 5 févr. 2022
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Encore aujourd’hui, il n’est pas facile pour un écrivain belge d’évoquer l’épisode douloureux de la collaboration flamande durant la seconde guerre mondiale. Après plus de soixante-quinze ans, le sujet reste sensible : les nationalistes au Nord du pays ont très longtemps réclamé (la dernière requête date de 2011) l’amnistie de ceux qu’ils ont considéré pendant des décennies comme les victimes de l’action anti-flamande de l’Etat belge. A les croire, c’est par idéal qu’ont agi la plupart des collabos flamingants, l’Allemagne leur ayant fait miroiter la reconnaissance de leur langue et de leur culture, méprisées par les fransquillons. Il est vrai que le sentiment d’humiliation était vivace chez les Flamands d’avant-guerre et que leurs revendications étaient souvent légitimes, la Belgique s’étant construite au XIXe siècle comme un Etat unilingue francophone alors que la majorité de ses habitants parlaient des dialectes proches du néerlandais. Mais l’esprit de revanche ne peut tout justifier et on ne peut occulter la sinistre réalité du rôle joué par certains de ces collabos qui, embrassant l’idéologie national-socialiste, ont servi le Reich avec beaucoup de zèle, dénonçant à l’occupant et envoyant à la mort Juifs et résistants (car il y en eut beaucoup en Flandre, dont inexplicablement on parle si peu). Alors certes, la collaboration a également existé à Bruxelles et en Wallonie où sévissait le parti rexiste de Léon Degrelle. Mais à la Libération, personne ne s’est levé au Sud du pays pour chercher des excuses à ceux qui avaient rejoint les rangs de l’ennemi, ces inciviques comme on les appelle ici ayant été au contraire lourdement condamnés.
Willem Verhulst fut un de ces flamingants collabos. C’est son histoire qui nous est contée dans cette biographie romancée extrêmement bien documentée qui, pour restituer la vie intime de ses personnages, laisse la part belle à l’imagination de son auteur, Stefan Hertmans. Lorsque ce dernier acquiert à la fin des années 70 une vaste maison délabrée dans le quartier du Patershol à Gand, il apprend que son ancien occupant était un collaborateur notoire. Ce n'est que vingt ans plus tard, à l’occasion de la mort du fils de Willem, Adriaan Verhulst, qui fut son professeur d’histoire à l’université, qu’il prend véritablement conscience de l'ampleur de cette collaboration. Consultant les archives, prenant contact avec les descendants de Verhulst dont plusieurs avaient rédigé leurs mémoires ou laissé des journaux intimes, il entreprend de reconstituer le parcours de cet homme à l’existence tourmentée. Will est né dans une famille populaire, sa mère meurt lorsqu’il n’a que 11 ans. Souvent brimé à l’école à cause de son handicap (il a perdu un œil durant sa prime enfance) et parce qu’il ne parlait pas le français comme les bourgeois flamands de l’époque, il devient flamingant, anti-belge et plus tard collaborateur, autant par haine et esprit de revanche que par désir d’acquérir un statut social auquel ni son emploi de démarcheur ni son niveau d’études n’auraient pu l’amener. C’est ainsi qu’il portera fièrement l’uniforme SS, servant ses nouveaux maîtres du mieux qu’il le put, notamment en dressant des listes de patriotes et de Juifs, un peuple auquel appartenait pourtant sa première épouse décédée avant-guerre. Hertmans nous livre une image contrastée de ce personnage peu sympathique mais également écorché, flagorneur et vantard, mauvais patriote, époux infidèle, père absent, imbu de sa personne et prêt à toutes les bassesses pour se faire bien voir du nouveau régime. Il dresse également le portrait lumineux de sa seconde épouse Mientje, une femme pacifiste et profondément religieuse qui ne partageait en rien les sympathies nazies de son époux volage. Au fil de son enquête, l’auteur prend conscience des non-dits et du caractère édulcoré de certaines informations qui lui ont été fournies. Il n’est pas facile, lorsqu’on est enfant de collabo, de regarder la vérité en face et d’admettre la réalité dans ce qu’elle a de plus sordide. Cette réalité, beaucoup en Flandre auraient aimé l’oublier au mépris de l’indispensable devoir de mémoire, considérant trop souvent la collaboration comme l’erreur excusable d’idéalistes rêvant légitimement d’indépendance.
Griet, la dernière compagne de Will Verhulst lui survivra plus de vingt ans. Dans la chambre de sa maison de retraite trônera jusqu’à sa mort le portrait d’Adolf Hitler. En 1997, à l’occasion de son 90e anniversaire, une grande fête est organisée à laquelle participent de nombreuses personnalités du Vlaams Blok, l’extrême-droite flamande. Et là, il faut se pincer pour y croire : l’éloge de Griet fut rédigé par Bart De Wever himself, l’actuel bourgmestre d’Anvers et président fondateur de la N-VA, le grand parti nationaliste flamand. Le discours que rédigea à cette occasion celui qui est l'un des hommes politiques les plus influents de Flandre ne laisse planer aucun doute sur sa parfaite connaissance de la collaboration de Griet et de Will Verhulst pendant la guerre, sur leur fuite à Hanovre et leur arrestation à la Libération. Du reste, la sanction ne sera pas à la hauteur des crimes commis : la condamnation à mort du traitre sera commuée à une peine de vingt ans dont il n’effectuera que quelques années. L’ancien collabo sera, comme beaucoup d’autres en Flandre, libéré au début des années 50.
Vous salissez la Flandre mais la Flandre vous juge, écrivait Jacques Brel à propos des extrémistes flamingants. Pas sûr : un électeur flamand sur deux vote aujourd’hui pour l’extrême-droite du Vlaams Belang ou pour les séparatistes de la N-VA dont un membre éminent affirmait il y a quelques années que "les gens qui avaient collaboré avec les Allemands avaient leurs raisons". La responsabilité morale de la coopération avec le nazisme n’a jamais été véritablement assumée par ceux qui s’en sont rendus coupables, ce qui est d’autant plus regrettable que nombre de ces collabos faisaient partie de l’élite intellectuelle et culturelle du mouvement flamand et ont continué après la guerre à exercer une action influente. Une bonne raison de saluer ce livre courageux et sans concession.
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le 14 févr. 2022
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