Avec « Une bête au paradis », je découvre Cécile Coulon, autrice qui a le vent en poupe et qui suscite bien de l’intérêt, tant pour ses romans (Méfiez-vous des enfants sages – 2010, Le cœur du Pélican – 2015 ou encore Trois saisons d’orage – 2017) que pour ses essais (Les grandes villes n’existent pas – 2015 ou Petit éloge du running – 2018).
« Une bête au paradis », si on suit les critiques, se situe encore un cran au-dessus ! Avec une écriture semblant spontanée, naturelle, sans artifice, Cécile Coulon signe un roman particulièrement bien travaillé. Cette lignée de femmes solides, combattantes et fières qui assure la colonne vertébrale de ce roman interpelle le lecteur et l’interroge sur l’humanité qui pousse des individus à se construire, presqu’en huis clos, dans un paradis qui n’existe qu’au prix de la souffrance, des silences maintenus, des vies qui se frôlent sans cesse en oubliant de se partager et qui, pourtant, soudent une lignée de femmes, chacune tributaire de l’héritage reçu et consenti.
Avec Emilienne, la grand’mère et Blanche, la petite-fille, le lecteur s’immerge dans un monde rural, frustre et avare de ses largesses. On suit Emilienne dont la seule raison de vivre est de se tuer à la tâche pour que Blanche et son jeune frère, Gabriel, ne manque de rien. Ils ont déjà tout perdu avec la disparition de leurs parents dans un virage, à quelques coudées de la ferme… Pourtant, ‘Bienvenue au Paradis !’ indique le panneau bancal qui fixe la frontière entre le monde normal et l’enfer de cette terre qui produit si peu face à ces bêtes qui réclament tant !
On le ressent au fond des tripes, le Mal est roi en ce domaine. C’est lui qui féconde tous les combats, alimente les résistances et nourrit les vengeances. Le monde entier se tient dans cette poignée de personnages qui sonnent juste comme la vie, froid comme le glas. Au Paradis, c’est Emilienne, grand’mère courage, qui tient la barre. Même sans expression de chaleur humaine, elle aime, protège, fait grandir, éduque et mène à l’avenir. Rude comme le climat, dure comme la vie, perdue et déphasée face à la duplicité de qui dit aimer, elle s’épuise.
Louis, le domestique est bien plus encore. Il est amoureux de Blanche et la protègera comme un frère jaloux, comme un père torturé. Blanche, gamine devient femme mais ne rêve – et bien plus que cela – que de son bel Alexandre qui hait la terre mais veut Blanche, dit-il. Gabriel, jeune frère à la masse, semble ne jamais être du vrai monde. Il vit, apparemment sans attache, sans repère ni repaire… Et pourtant, quand tout le monde sera épuisé, c’est lui, le funambule qui assurera l’équilibre.
Je lis, j’avance dans le récit, je m’embourbe dans ce drame oppressant sans deviner la moindre embellie. Le style même de l’autrice n’est pas là pour m’aider à imaginer une fin heureuse. Tous ses paragraphes, courts, incisifs et efficaces commencent par un verbe d’action ou d’état. Ils traduisent à merveille ce quotidien qui se déroule, la vie, les moments de vie qui se juxtaposent et s’unissent en faisant fi de leurs contraires : Faire mal et protéger, tuer et naître, séduire et battre ou encore aimer, cogner, être heureux, pleurer, venger, mordre, vaincre ou vivre.
Au-delà de l’amour inconditionnel que vouent Emilienne et Blanche à leur terre, tout le livre est habité de ce souffle chaud-froid qui aspire au bonheur autant qu’il crache son venin. D’espoirs en déboires, de victoires en défaites, la vie au Paradis distille toute l’âme humaine, ses forces comme sa noirceur. Cet enchevêtrement de sentiments, d’aspirations et de regrets amène naturellement le lecteur que je suis à poser la seule question qui vaille : Dans ce Paradis, qui est la bête ? Et dans ma vie ?