L'amour sans crier gare

Une histoire d'amour - évidemment - parle d'amour ; et fait le portrait d'un amour au féminin pluriel, en mettant en scène les variations du sentiment amoureux de trois personnages : Katia, Justine, William... Ces sentiments mêlés s’observent au prisme de la maladie - le cancer qui atteint un des personnages - créant ainsi une ambiance écume des jours.

Le parallèle entre l'amour et la maladie permet de comparer la puissance dévastatrice du sentiment amoureux à la puissance dévastatrice de la maladie - deux forces transformatrices qui rongent à petit feu l'être humain, le laissant démuni. Impuissance.

Sur scène donc, on voit l'amour sous différentes formes et sous plusieurs facettes ; les sentiments se font et se défont et l'amour déferle en vagues. On voit des destins qui se croisent, des rencontres qui se font. Et toujours le désir qui enfle. Ici, l'amour est plein d'ambiguïté ; autant il enchaîne les personnages, les maintient prisonnier du sentiment, autant il les libère en leur donnant une énergie folle. Le tout est habillé par des partitions musicales qui intensifient et donnent un second souffle au texte. La pièce s'ouvre et se referme notamment sur Et Pourtant de Charles Aznavour - chanté par les acteurs - chanson qui reste en tête à la fin de la représentation.

La pièce est très en mouvement, tout change et se transforme constamment, en rythme et en cascade, dans un tourbillon de décors et d'énergie. Le texte des acteurs est débité et les dialogues s'enchaînent en saccade sans jamais s’arrêter. Un théâtre de la fracture ; une chorégraphie des cœurs et une agitation des esprits. Jamais il n'y a de monologue ou de longue tirade dans lesquelles les personnages auraient l'opportunité de déclamer le sentiment. Ici, le sentiment s’incarne et se vit. Et on pleure et on rit.

La pièce est une tragédie et respire la mort tout du long (avec cette magnifique incarnation de la mort - le personnage de ... qui personnifie magistralement l'absence - telle une prosopopée dansante) et ne quitte jamais le personnage de William, montrant toute la fatalité tragique dont on ne peut se détacher. La pièce va même se conclure avec le décès de Katia sur scène - venant ainsi rompre la règle de bienséance classique. Stupéfaction.

Cette pièce est un magnifique discours amoureux, sur le sentiment sensible et fuyant qu’est l’amour et que Alexis Michalik choisit de présenter sous la forme d'un mélodrame...
Une histoire d'amour. Amour, histoire. Si l'amour est une histoire, c'est que l'amour est une aventure, humaine, trop humaine, un récit dont on aime parler... mais qui en même temps reste toujours improvisé... Une histoire n'est pas une anecdote... l'amour n'est pas aussi précis. Comme une histoire d’amour.

Le propos de la pièce est aussi politique. Michalik semble dire qu’il n'y a pas une seule façon d'aimer mais bien des milliers. On peut choisir d'aimer, de ne pas aimer ou d'aimer quelqu'un du même sexe que soi. Tant qu’on aime. Cette histoire d'amour se referme sur une scène magnifique de câlin entre les acteurs - une façon de saluer le public qui ne sait pas s' il doit rire ou pleurer mais qui - un peu, beaucoup, passionnément - ressent cet état de comble au cœur.