Et non! Malgré son titre, cette oeuvre n'est en rien une adaptation des Liaisons Dangereuses de Laclos mais une suite, que propose Hella S. HAASSE. Laclos concluait son oeuvre en écrivant "Peut-être quelque jour nous sera-t-il permis de compléter cet ouvrage; mais nous ne pouvons prendre aucun engagement à ce sujet: et quand nous le pourrions, nous croirions encore devoir auparavant consulter le gôut du public qui n'a pas les mêmes raisons que nous de s'intéresser à cette lecture".

Hella S. HAASSE reprend donc l'histoire là où Laclos a décidé de l'interrompre. L'oeuvre est en fait un échange épistolaire surprenant entre la marquise, réfugiée en Hollande, défigurée et sans fortune, et l'auteur. Tout oppose ces deux femmes, deux siècles les séparent, mais ce qui les réunit, c'est leur intelligence, leurs idées sur la condition féminine. Les lettres deviennent l'occasion de débats sur la condition de la femme dans la littérature. Le roman se meut alors en essai philosophique se questionnant sur le rôle de la femme malfaisante dans la littérature universelle.

Divers thèmes sont abordés avec brio. Bien entendu, il est amplement question du libertinage, alors omniprésent au XVIII ème siècle. La marquise de Merteuil est une femme lucide sur son époque et peut donc écrire: "La femme peut se livrer au libertinage à la seule condition que personne ne l'apprenne. Elle peut commettre les pires crimes, pourvu qu'elle agisse discrètement. La seule chose qu'on ne lui pardonne pas, qu'on ne lui pardonnera jamais, c'est de montrer ouvertement de l'inclination ou de l'ambition". De là, s'en suit un débat sur la condition féminine, débat qui prend forme avec les précieuses au XVII ème siècle et qui se concrétise fortement au XVIII ème siècle. Ce débat sur la non-égalité homme/femme lance les deux épistolières dans une réflexion profonde sur les femmes, celles de chair et de sang, mais aussi sur celles d'encre et de papier.

En même temps que ce débat philosophique, l'auteur tente, à maintes reprises, de percer le secret de la marquise, en décryptant ses faits et gestes, décrits par Laclos. L'auteur semble passionnée par le personnage de la marquise et tente de la révéler à elle même, de l'ôter de ce piedestal qui en fait LA femme mauvaise et hypocrite de la littérature, en dévoilant ses faiblesses, son humanité. Car, pour l'auteur, la marquise est un personnage qui souffre et qui, pour vaincre sa souffrance, la cache sous une cruauté aigue. Une femme blessée se venge sur n'importe qui, l'auteur conclut alors, au sujet de la marquise: "Vous n'étiez plus, si je puis me permettre l'expression, le "stratège", celle qui dominait magistralement le tissu d'intrigues, mais une femme blessée qui voyait lui échapper la seule chose qui comptât véritablement à ses yeux". Cette "chose", c'est Valmont. Car, pour l'auteur, la marquise ne s'est pas remise de sa rupture avec Valmont et elle prouve que l'ensemble des lettres des Liaisons Dangereuses démontre les efforts de la marquise pour récupérer celui qu'elle aimait.

Enfin, le débat se penche sur les personnages féminins de la littérature, la marquise citant diverses femmes "mauvaises", "hypocrites" ou vraiment "méchantes". Une des questions alors abordées concerne la vraisemblance des personnages féminins dans la littérature. La marquise se demande en effet quels personnages sont les plus représentatifs de la gente féminine dans les oeuvres de son siècle: "Des femmes comme Manon, Molle et Marianne sont, je le maintiens, beaucoup plus proches de la vérité dans la représentation qu'elles donnent de notre sexe que les beautés exagérément sensibles, exaltées, prêtes à s'évanouir à tout instant, respectueuses à l'extrême des normes de la décence et de la vertu, que nous offre le courant littéraire contemporain".

En bref, cette oeuvre vaut le détour. Le style est limpide, saisissant, les débats sont philosophiques, les idées bien argumentées. Cette oeuvre reprend les grands thèmes des débats des Lumières, tout en tentant de percer à jour le secret de la marquise. En echangeant des lettres, les deux femmes donnent leur avis sur la condition féminine, nous laisse percevoir une critique de certaines oeuvres littéraires (principalement du côté de la marquise), tandis que l'auteur critique, elle, Les Liaisons Dangereuses. Admirable.
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le 18 mars 2012

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