Déjà à son époque, Virginia Woolf répondait à des justifications encore bien ancrées aujourd’hui quant à la méconnaissance généralisée sur les femmes autrices : ces dernières ne sont pas moins connues parce qu’elles sont moins douées que les hommes auteurs. Ou, pour le moins, si les autrices de l’époque n’ont pas encore atteint le niveau des plus grandes œuvres littéraires masculines, ce n’est pas le fait d’une quelconque essence féminine qui les rendrait plus mauvaises en écriture par le fait de la nature.
En six chapitres, Woolf démontre la manière dont les conditions matérielles d’existence des femmes influent sur leurs véritables capacités à écrire. Sans éducation appropriée, dans une pauvreté matérielle qui conduit à la dépendance à l’égard du sexe dominant, il semble difficile qu’une expression authentique de soi puisse advenir, la femme se retrouvant dépossédée d’elle-même. Il se révèle également nécessaire à la femme autrice de s’affranchir du regard masculin, sans quoi elle n’écrira ni n’existera jamais pour elle-même. Si les femmes ne deviennent pas aussi matériellement libres que les hommes pour écrire, jamais elles ne pourront se départir d’une colère et d’une frustration aux racines profondes qui entacheront leur œuvre de façon insidieuse.
Ce sont avant tout les conditions de vie réelles des femmes qui les ont longtemps empêché d’écrire, et encore plus : de bien écrire. Pour se consacrer à cet art, une femme nécessite des mêmes avantages qu’un homme : cinq cents livres de rente lui assurant la subsistance, ainsi qu’une pièce à elle lui procurant un endroit d’intimité où les enfants ne l’incommoderont pas en plein processus de narration. Ce constat, à l’apparence bien peu originale, se montre néanmoins essentiel et dépasse la simple sphère de la littérature : pour être libre, encore faut-il avoir dépassé le stade de la survie et disposer d’un lieu où l’intégrité est respectée.