Publié sur L'Homme Qui Lit :
Je me souviens avoir laissé s’échapper un « tiens ! » de surprise en voyant surgir de nulle part, dans un rayonnage de ma librairie de quartier, ce « Muriel Barbery » rouge, tout en lettres capitales, comme pour mieux attirer mon attention, me dire « hey je suis là, j’existe, regarde ! ». Et je l’ai regardé, ce roman longiligne d’un gris si discret. J’ai fouillé ma mémoire, réfléchi, refait le tour des centaines de couvertures que j’avais vu parfois jusqu’à la nausée sur les réseaux sociaux, dans les magazines, chez les libraires, et rien : inconnu au bataillon. Alors oui, j’ai pris ce Muriel Barbery qui est sorti si discrètement pendant cette rentrée littéraire, je l’ai pris avec la promesse que, malgré l’oubli et l’effacement, il passerait devant tous les autres, toutes les attentes et les impatiences, les envies qui poussent au creux des pages, comme pour lui demander pardon.
Une rose seule, dont j’ai cru pendant toute la lecture que le titre était « Une seule rose », nous emmène à Kyoto, l’ancienne capitale impériale du Japon. Rose y est partie sans grande motivation pour découvrir le testament de ce père qu’elle n’a jamais connu et qui vient de mourir, lui laissant l’obligation d’un rendez-vous chez le notaire pour établir sa succession. Née d’un amour éphémère entre sa mère, décédée quelques années plus tôt et Haru, ce marchand d’art contemporain qui lui laisse une fortune confortable et qu’elle n’a pourtant jamais rencontrée.
Avant que le notaire ne lui remette la lettre que son père lui a laissée, elle profite de quelques jours dans la maison de son père, accompagnée par Sayoko, une sorte de gouvernante, Kanto le chauffeur et Paul, un belge avec qui son père travaillait, entre l’assistant et l’associé. Ce dernier se charge de lui faire visiter des lieux choisis par son père, notamment ces temples bouddhistes avec des jardins zen. Kyoto d’ailleurs semble construit sur cette étonnante dualité, celle d’une ville laide et bruyante d’un côté, abritant des havres de paix pour peu que l’on sache où aller. Sous ses airs maussades de française désintéressée, contrainte, Rose cheminera au côté de Paul dans les pas de son père, de son héritage, avec à la clé, d’inattendues surprises.
Un joli roman qui se lit rapidement, dans lequel j’ai retrouvé avec plaisir l’écriture de Muriel Barbery et qui a réussi à me faire voyager à l’autre bout du monde, dans ces jardins fleuris où seul le bruit de la brise dans les érables se fait entendre. Un roman sur l’amour et sur le deuil, mais également un roman sur le Japon, sur ce pays que l’on fantasme sans vraiment connaître, et qui prend matière sous la plume de l’autrice. Un livre discret à l’image de Sayoko, cette gouvernante effacée qui recule sur la pointe des pieds, mais qui apporte son moment de douceur en ce début d’automne.
Une rose seule de Muriel Barbery est publié aux éditions Actes Sud le 19 août 2020.