Trois garçons et une fille dans le vent
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le 5 juin 2022
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Encore trop méconnu en France, David Mitchell est un écrivain britannique à la maitrise romanesque impressionnante, qui lui permet de varier genres littéraires et époques à sa guise, parfois même au sein d’un même livre (l’extraordinaire « cartographie des nuages »). Cette fois c’est dans le milieu musical et culturel anglophone de la fin des années 1960 qu’il nous entraîne, avec le récit des débuts puis de l’ascension d'un groupe pop rock imaginaire de Londres.
Une qualité que j’admire chez cet écrivain est sa capacité à faire exister ses personnages en quelques phrases. On s’attache à eux immédiatement, et on a envie de les suivre jusqu’au bout. Cette fois l’auteur s’est limité à cinq personnages principaux : les quatre membres du groupe et leur manager. Ce dernier, Levon Frankland est un Canadien qui vient de s’installer à Londres avec l’idée de recruter un groupe, quitte à le former lui-même avec des musiciens talentueux mais en déshérence. Ainsi il réunit Dean Moss, bassiste fauché qui s’apprêtait à laisser tomber, Elf Holloway compositrice et chanteuse folk trahie par son partenaire, Jasper de Zoet, guitariste virtuose mais tourmenté et enfin le batteur Griff.
L’alchimie opère et le groupe gagne suffisamment en assurance pour se lancer. Nous allons tout vivre avec eux, la galère des débuts, les mésaventures de tournée, les affres de leurs vies familiales et sentimentales, leurs rencontres avec leurs idoles, la rançon de la gloire et les dangereuses tentations…
Le roman est organisé en trois "albums" dont chaque piste est un chapitre écrit du point de vue d'un membre du groupe, le plus souvent l'auteur de la chanson. Les auteurs-compositeurs Dean, Elf et Jasper obtiennent ainsi la majorité des chapitres, Griff, et Levon, étant un peu en retrait. Comme je l'ai déjà mentionné, tous les personnages sont bien écrits et ont tous une histoire intéressante, mais Jasper m’a particulièrement touché par son côté génie un peu barré avec sa propension à dire ce qu’il pense sans filtre : tantôt il suscite l’embarras de son entourage, tantôt il subjugue tout le monde par ses fulgurances, ce qui donne quelques scènes bien cocasses. Quant à l’histoire de Dean, d’origine très modeste et en conflit avec son père, c’est indéniablement la plus forte et la plus émouvante.
L'auteur manœuvre assez bien pour éviter les clichés (par exemple le manager du groupe est honnête et compétent) et je trouve que l'époque est formidablement bien rendue, que ce soit dans ses travers ou dans le formidable élan de modernité et d'optimisme impulsé par la jeunesse d'alors. Mitchell écrit de manière convaincante sur la façon dont une chanson naît dans l’esprit de son auteur, prend forme peu à peu, se construit à partir des émotions ressenties ou des anecdotes vécues, comment elle pourrait sonner, sans se perdre dans les détails trop techniques.
Il est juste dommage que la description des scènes de concert soient assez convenues, et que l'auteur réutilise plusieurs fois les mêmes expressions - mais je sais qu’il n'est pas facile d'écrire sur la musique live, c'est quelque chose qui se vit avant tout.
David Mitchell fait aussi intervenir (et parler) des figures célèbres de l'époque, ce qui n'a pas manqué d'agacer les érudits rock – soyez prévenus si vous vous rangez vous-même dans cette catégorie. Qu’elles soient plausibles ou non aux yeux des spécialistes, les apparitions de David Bowie, Francis Bacon, Bill Evans et ainsi de suite sont plaisantes. La scène où Elf rencontre Leonard Cohen dans l’ascenseur sans le reconnaître est très drôle, et toute la séquence au Chelsea Hotel avec Janis Joplin m’a donné envie de relire le « Just Kids » de Patti Smith.
Une dernière chose que je veux mentionner ici est la composante fantastique du récit, autour d’un trouble neurologique dont souffre l’un des personnages. Si vous êtes déjà lecteur de David Mitchell vous aurez déjà fait le rapprochement entre un de ses livres précédents et le nom de famille de Jasper. Comme à chacun de ses romans, l’auteur prolonge son univers et d’autres surprises vous attendent…
Si nous n’avez lu aucun roman de Mitchell jusqu’à présent rassurez-vous ce n’est en rien indispensable mais soyez juste prêts à accepter une petite part de surnaturel (et si ça vous plaît enchainez sur La cartographie des nuages et les milles automnes de Jacob de Zoet !).
Pour conclure, j'ai bien évidemment dévoré ce livre comme ses précédents. Je suis moi-même fan du rock britannique de cette période, ce qui a probablement ajouté à mon plaisir de lecture, toutefois je suis sûr qu’il n’est pas nécessaire de s’intéresser à la scène musicale 60s pour se laisser entrainer par l’histoire.
Utopia Avenue tient largement ses promesses en capturant l’essence d’une époque unique et fascinante : je vous le recommande, comme toute l'œuvre de David Mitchell!
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Créée
le 22 sept. 2022
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