Vendredi ce héros
Daniel Defoe a écrit en 1719 "ROBINSON Crusoé" considéré comme l'un des premiers romans d'aventures. Michel Tournier reprendra cette histoire en 1967 qu'il baptisera "VENDREDI ou les limbes du...
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le 8 mars 2020
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Oui, Vendredi ou la Vie sauvage est un récit prenant, s’appuie sur un style au-dessus de la moyenne des romans pour la jeunesse, propose dans sa première édition des illustrations réussies de Paul Durand, se lit sans peine et a le mérite de ne pas prendre les enfants pour des cons. D’ici à le trouver meilleur que Vendredi ou les Limbes du Pacifique ?
Il faut dire que sous quelque plume qu’il se trouve, je trouve Robinson raté : trop d’un bloc, trop puritain pour que la question de son adaptation implique une réflexion nuancée. Une fois évoqués les deux dangers qui guettent le personnage – la nature, la folie –, difficile pour un écrivain de ne pas ressasser quand il parle du naufragé. C’est ce qu’a compris Tournier, qui lui donne un compagnon.
Pas étonnant, d’ailleurs, dans une œuvre qui tourne en grande partie autour du thème du double – dont la dialectique n’est qu’une variante. Vendredi ou la Vie sauvage est une quête du double. D’abord seul sur l’île, Robinson retrouve ensuite un animal pur : le bouc, puis un brouillon d’homme : le chien Tenn, né hors de l’île et mort sur l’île. Il sauve ensuite un double imparfait : l’Indien Vendredi, né hors de l’île et qui mourra en Europe. Enfin il accueille cet alter ego parfait, « petit frère dont les cheveux – aussi rouges que les siens – commençaient à flamboyer au soleil » (p. 195 en « Flammarion jeunesse ») : Jean, l’enfant estonien (comme Éphraïm dans le Roi des Aulnes, me semble-t-il), rebaptisé Dimanche, re-né symboliquement de la grotte-matrice de Speranza (comme Robinson...) et probablement voué à y finir ses jours, déjà.
D’une façon générale, si parmi les dizaines de milliers d’élèves de cinquième qui ont étudié Vendredi ou la Vie sauvage un jour ou l’autre, certains lisent ensuite d’autres œuvres de Tournier, ils ne devraient pas être dépaysés. On y constate l’absence de femme. (En-dehors de quelques figurantes, la seule femme des récits est la Jeanne d’Arc de Gilles & Jeanne : reconnaissons que la pucelle guerrière représente une certaine idée de la féminité...) On y découvre son goût pour les bestiaires. On y trouve une construction ultra-rigoureuse.
On y lit encore son style absolument anti-musical (1). Une scène du roman, sans doute la plus réussie, voit Vendredi demander à Robinson si « la lune est le galet du ciel, ou est-ce ce petit galet qui est la lune du sable ? » (p. 139) : chez Tournier, la poésie ne naît pas des sons, elle naît des images. Le romancier-philosophe la pratique lui-même, de temps à autre : « Il semblait à Robinson que toute l’île de Speranza était un immense gâteau et qu’il était lui-même la petite fève cachée au fond de la croûte » (p. 70).
Le problème dans Vendredi ou la Vie sauvage, c’est que trop souvent, le romancier-philosophe se conduit en prof de philo. Ainsi, en se privant d’une partie de sa récolte de blé pour ensemencer, Robinson « croyait accomplir un acte méritoire et raisonnable. En réalité, il obéissait à un nouveau penchant, l’avarice, qui allait lui faire beaucoup de mal » (p. 43 ; les italiques sont dans le texte original).
C’est plus réussi quand Tournier permet à son lecteur-élève de tirer ses propres conclusions, par exemple quand il laisse comprendre que Speranza deviendra une mère pour (ce fils-à-maman qu’est finalement) Robinson. Ou encore, si l’enseignement qu’on pratique implique davantage de manipulation que de dressage, on peut simplement écrire : « Maintenant, Vendredi était libre. Il était l’égal de Robinson. Aussi ils pouvaient se fâcher l’un contre l’autre » (p. 125). Je ne ferai pas au lecteur de cette critique l’affront d’expliciter l’implicite de ces trois phrases : on le fait très bien quand on a dix ou douze ans et qu’on s’attarde un peu sur ce qu’on lit.
(1) Style qui d’ailleurs montre les limites de Tournier, et l’empêcha de jamais écrire de véritables chefs-d’œuvre.
Créée
le 21 janv. 2019
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