Le Paris Match de la Rome Antique

On va donner dans le consensuel, pour une première critique : on va taper sur Suétone.

Néron est un empereur romain (jusque là, on suit). Il fait partie de la dynastie des julio-claudiens, qui a eu quelques problèmes de consanguinité, leur arbre généalogique ressemble plus à un réseau généalogique, d'ailleurs. En tout cas, il semblerait que ces problèmes de consanguinité aient eu quelques répercussions sur la santé mentale des membres de cette famille (Néron, lui, est adopté par Claude). Néron est notamment accusé d'avoir mis le feu à Rome pour la regarder brûler. Pour le plaisir, quoi. En chantant des vers. Te solum vivere semel. *

Bref, on ne va pas refaire la biographie du personnage - c'est le travail auquel s'est adonné Suétone, historien romain, quelques décennies après sa mort.
Je dis historien, mais le mot m'écorche la bouche.

La Vita Neronis n'est en fait qu'un charge peu subtile contre Néron. Suétone a recours à tous les procédés possibles : il décrit longuement sa généalogie, donne les symboles l'entourant à la naissance, et en sort quelques certitudes bien foireuses sur le caractère et la destinée de l'empereur. Outre quelques mentions historiques, toujours militantes, sur une pseudo-incapacité de Néron à diriger l'Empire, Suétone donne une suite d'anecdotes pour dessiner un portrait déformé de l'Empereur, et un paysage tronqué de son règne.
Tout est bon pour le discréditer : généalogie et anecdotes donc, mais aussi portraits psychologiques grossiers dépeignant un lâche incapable. Et bien sûr, le personnage n'étant pas tout rose, il donne de la matière au soit-disant historien, avec le passage de l'incendie de Rome (rien ne prouve, en réalité, que Néron l'ait déclenché), la Domus Aurea (une maison dorée immense, symbole des délires de grandeur de l'Empereur), et les jeux du cirques "à la grecque" - Suétone était un prototype du tonton raciste qui dit que tout se perd, et les Romains parlaient de "décadence" en voyant l'influence des Grecs, artistes et philosophes bons vivants, sur la jeunesse romaine. En fait, Suétone représente une sorte de mouvement "Histoire people", l'histoire par la biographie, où on tente de cerner un personnage par une série d'instantanés, au lieu de chercher à comprendre l'époque.

Bon. Pourquoi déblatérer sur Suétone et sa Vita Neronis ?

En réalité, comme souvent, si elle semble décalée, cette œuvre a quelque chose à nous apprendre. Elle résume à elle seule les défauts de "l'Histoire par l'anecdote", d'une part, et nous montre une bonne fois pour toute que oui, l'Histoire est une science, et qu'une compréhension historique demande un travail de recherche.
Car Suétone avait déjà trouvé ce qu'il allait dire de Néron avant de fouiller dans les archives, où il a pu sélectionner les documents et les exemples étayant sa thèse (Néron incapable, Néron fou, Néron décadent). Je me risquerais bien à faire une comparaison avec le traitement actuel que nous faisons de Robespierre, le tyran, le despote, le sanguinaire, qui peine tellement à être réhabilité ; peut-être parce qu'il est porteur d'une certaine vision de la Révolution Française, en son origine, et que certains, par respect de la bienséance et surtout par conformisme réactionnaire, souhaiteraient gommer de l'Histoire... Le parallèle n'est pas idiot. Néron a fait scandale par sa proximité avec la plèbe (les petites gens), et en cherchant bien, on peut trouver à la manière de Suétone une anecdote qui ne prouve rien mais qui dit beaucoup : aux courses de chars, où quatre factions s'affrontaient, Néron supportait les Verts (favoris de la plèbe), au grand dam des aristocrates qui supportaient les Bleus.

Bon, ça va un peu loin, pour une critique d'un article de presse people.
Et c'est pas si consensuel, au final.

*YOLO