Vie et mort d'Émile Ajar » a été présenté en librairie dans un format livre en 1981 soit un an après la mort de son auteur Romain Gary.Pourtant de par son volume il est difficile de le recevoir en première intention comme un livre à part entière, seulement 30 pages, augmentées de quelques feuillets manuscrits des romans d'Émile Ajar pour assurer le façonnage de la bonne tenue matérielle de l'ouvrage, constituent le tout de l'objet physique. Très vite cependant, puisque la lecture de trois dizaines de pages d'à peine neuf cents signes chacune ne prend que quelques minutes, lorsqu'on repose l'ouvrage une impression nouvelle apparaît ; la finesse du livre, sa matérialité sont soudainement relayées par l'épaisseur de la vie, par ses strates différentes, par son immatérialité qui donne à notre existence ce goût si particulier et qui a pris pour Gary le nom de littérature.Dans ce bref témoignage de ce que fût l'énigme Émile Ajar, Gary donne un récit que nous pourrions appeler « L'épisode Ajar ». Épisode est une appellation que sans doute Romain Gary n'aurait pas reniée, lui qui se savait touché par cette chose mystérieuse propre à l'imagination humaine : « La vérité est que j'étais très profondément atteint par la plus vieille tentation protéenne de l'homme : celle de la multiplicité. » L'homme multiple est en quelque sorte un nomade de l'âme et vagabond des territoires inconnus. Si cet homme multiple n'a pas perdu ses racines comme cela est souvent le cas dans certaines maladies mentales, il n'est pas non plus prisonnier de ses racines ou de son contexte comme les personnes bien normées savent trop bien s'en accommoder. Cette condamnation à la répétition et au déterminisme, Romain Garry de toutes ses forces la rejetait, il n'acceptait pas la « gueule » qu'on lui faisait. L'écrivant dispose d'une chance, qu'il ne peut refuser : pouvoir recommencer. Inventer un pseudo revient presque (mais ce presque a toute son importance et Gary en fera l'expérience à ses dépends) à s'inventer soi-même. : « C'était une nouvelle naissance. Je recommençais. Tout m'était donné encore une fois. J'avais l'illusion parfaite d'une nouvelle création de moi-même, par moi-même. »

Oui, la vie, celle que Gary appelle la vie officielle lasse, et elle le lasse d'autant plus que le métier d'écrivain lui-même invite les autres, le social, à « vous faire une gueule », en quelque sorte de prêt à porter de l'identité, un camouflage commode de l'identité, une sorte de planque à soi-même, alors que la littérature est l'espérance actée d'une incarnation toujours nouvelle.Dans un aphorisme absolument mobile et qui balance entre Héraclite, « je me suis cherché moi-même », et Rimbaud, « je est un autre », Romain Gary donne le « là » impossible, inatteignable par définition, de sa vie : « Je me suis toujours été un autre ». En ce sens l'écriture n'est pas un moyen d'expression d'un sujet qui trouverait dans la littérature l'outil de son expansion narcissique, mais au contraire le deuil imparable de soi en qualité d'entité mondaine troquée pour une mise au monde épisodique, fugace, d'un Émile Ajar, d'un pseudo aussi vrai que ....Un de ses ouvrages qui en quelques lignes vous mettent sur la langue le sel de la littérature.
Yannick BretonChamp social éditions
P.S. :Une tentative dont le désir anime l'œuvre : n'être qu' écrivant est énoncé dans son impossibilité originaire. Être toujours identifié à cette unique action d'écrire, surtout ne pas être un écrivain, poursuivre le rêve rimbaldien de ne point avoir de métier, ne pas socialiser l'écrit dans la réalité, vaste bocal où chacun auto limite ses rêves pour bénéficier un peu de la complicité bienveillante des autres, d'un peu de chaleur humaine, d'un peu d'amitié. Si on se lasse de « soi » c'est que « soi » est irrémédiablement seul ou s'il n'est pas seul c'est qu'il est la proie de sa propre ombre mêlée à celle des autres. Rien ne peut arrêter ce vertige de l'existence, seuls parfois les éléphants des Racines du ciel (prix Goncourt de R.G. en 1956) ou le python de Gros-câlin (premier livre écrit en 1974 sous le pseudo Émile AJar) dessinent les contours pourtant obombrés d'un lien humanisé.
madamedub
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le 22 juil. 2011

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