Construire son silence
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Près d’un ruisseau désagrégé s’agite un pays sans nom, vague remugle d’une histoire violente et contradictoire. Dans les futaies, dans les rangées de saules, dans l’herbe trop grasse de ses rebords, ce sont les voix de centaines de disparus que le narrateur cherche sans y sembler, ces mêmes dont on égrène chaque soir la litanie des noms à la radio. On dit qu’on les recherche et ce n’est pas vrai : ils sont comme ces trous et anciennes galeries de mine qui occupent le pays sans qu’on prétende les voir. Un jour, ils se réveillent. Mais tout cela est trop vieux pour être encore connu. “Vieille écorcherie, tourbillon constellé d’étoiles. Vieille écorcherie sous le toit de perplexes pensées, perplexe claquement de pensées vieillissement toiturées, vieille arrangerie. Pensées, nuitamment pensées, constellées : vieille claquerie, recouvrant les astres. Et nuages, vieux bruissement : cervelle enfumée derrière le front nuageux, toit venteux de nuageries, qui couvre les étoiles” (p. 104).
Lui rêve, sans âge, tacitement autorisé à rester dans la marge. Il parcourt sans fin les ruines de ce ruisseau, fasciné par l'absente apparence de ce qui est encore visible - trop vieux -, par ces rives industrielles. Il dit “ce sur quoi je posais les pieds ne pouvait peut-être même pas être nommé terre, cette matière qui s’incurvait sous nos pas et, résonnant d’un son creux, semblait parfois soupirer dans ses profondeurs” (p. 37). Sinueusement il se promène jusqu’à l’ancienne mine de houille, Germania II, dans laquelle a été installée une usine de savon qui extrait les graisses des animaux vivants. Usine fantomatique qui pourtant a une odeur, et cette odeur enveloppe horriblement chacun de ses travailleurs-figures ombreuses, les enveloppe tandis qu’ils forment à l’écart ces petits groupes muets, hommes dont on ne sait ce qu’ils furent dans une histoire si lourde qu’elle en devient presque inaudible.
“Substance des araignées et des oiseaux, substance des sauriens et des chats, sang des poissons, des loups, des singes : bouleversements tressaillants et, par-dessus, respiration et remuement des nuages” (p. 86). L’herbe, les saules, les fleurs, tous se font animalité : c’est ce temps où “ tout dans la nuit avait un goût de chair” (p. 86). Lui se joint pour humer l’haleine d’apocalypse. Il se promène dans les strates, temps / goût / histoire, il observe ce qui ne se murmure plus que dans sa propre étrangeté. Son jugement serait détaché de ce monde-là. Magnifiquement il pense, sa langue porte l’harmonie déformée du paysage.
A la fin, ce qu’il faudrait dire c’est que tout change et viennent les Minotaures.
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le 28 nov. 2024
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