L'un des points forts des œuvres de Zweig, ce sont ses descriptions. Elles fourmillent de détails et sont très efficaces, notamment en début de récit, pour poser un cadre et faire entrer le lecteur dans l'univers dépeint. Et à mesure que le récit avance, elles sont plus longues et plus complètes.
Pour cette nouvelle, l’auteur décrit d’abord le cadre dans lequel le narrateur du récit se trouve. C’est d’abord une atmosphère paisible dans un lieu de villégiature, puis vient l’incident qui déclenche un houleux débat entre le narrateur et ses compagnons. Et cette altercation permet de faire intervenir le personnage de Mrs. C. Au début, le narrateur brosse un portrait bref mais efficace qui nous permet de comprendre à quel genre de personne nous avons affaire. Nous avons là la doyenne, au tempérament réfléchi et maîtrisé, qui sera donc la voix de la raison du groupe et va permettre de donner une conclusion satisfaisante au débat.
Puis, lorsqu’elle se décide à prendre la parole et à raconter son histoire, son récit est également riche en descriptions, notamment l'ambiance qui régnait dans le casino le soir de cette fameuse rencontre ou plus tard lorsqu'elle explique - avec une lucidité et une honnêteté propres aux personnes mûres - ses réelles motivations et son ressenti.
Le portrait du jeune polonais est aussi une réussite. La dualité entre noblesse - de la naissance et des manières - et déchéance - sur le plan matériel comme psychologique - repentance et tromperie, douceur et brusquerie met mal à l’aise, tant elle est réaliste et si bien décrite.
Et il faut remercier son auteur pour cela, car arriver à écrire avec autant de justesse sur ces choses que l'on cherche à refouler mais qui sont pourtant normales et humaines, c'est un plaisir. Mais ce n'est pas un plaisir pervers, au contraire, cette journée est tragique. Et même si ça ne nous est jamais arrivé de croiser la route d'un accro aux jeux d'argent, ce genre de situation où on est face à un cas désespéré et qu'on ne peut rien faire, c'est, malheureusement, fréquent.
Ainsi, la compassion, l'espoir, le désarroi et la honte que Mrs. C. ressent sont palpables et vibrants grâce au style de Zweig. Voilà pourquoi il est aisé d'éprouver de l'empathie pour Mrs. C, de comprendre son besoin de reconnaissance, son désir de séduire, l'énergie qu'elle qui se sent si seule emploie pour aider cette âme tourmentée et son désespoir lorsque la sentence tombe : le jeune homme est irrécupérable, malgré sa politesse et la gratitude qu'il éprouve envers sa bienfaitrice.