Les Visions fugitives sont un ensemble de récits dont certains autobiographiques. Ils sont écrits dans des styles bien différents et pour illustrer cela je vais résumer trois récits qui pour moi sont les plus marquants.

Visions fugitives : Cette nouvelle éponyme raconte l'histoire d'un musicologue états-unien parti avec sa fille sur les traces d'un metteur en scène italien suicidé. Son voyage le mène vers un village français en ruine : Saint-Julien-Sur-Meuse. L'histoire est écrite à rebours, c'est-à-dire que chaque paragraphe, excepté le dernier, se trouve chronologiquement avant le précédent. On voit les pensées et réactions de la jeune fille pendant le voyage, elle s'interroge sur les motivations de son père. Et le temps fait un bond en avant, on découvre Irène, personnage mystérieux et redondant dans le récit, qui pourrait être la mère du personnage principal. Le père a été tué dans le village lors de la première guerre mondiale. Le voyage est à la fois une enquête sur une mort suspecte, une remontée dans ses origines et également l'occasion pour sa fille de mieux connaitre son père.



En 1998, William Boyd, armé de photographies récupérées dans des brocantes et de dessins crées de toute pièces par lui même, va enfanter un peintre. Le canular sera tellement réussi qu'il fera illusion et trompera même le tout New York, le temps de quelques jours. Nat Tate naquit en 1928 dans Le New Jersey, il ne connut pas son père. Sa mère lui raconta qu'il avait péri en mer, noyé, mais quand il s'agissait de son métier la version variait, il était un jour sous-marinier, l'autre plongeur, puis appartenait à la marine marchande etc... On pense que c'est de là que lui est venue son obsession morbide pour l'eau. Ses œuvres les plus connues sont une série de ponts, il n'est pas difficile d'imaginer que la symbolique du pont lui permet de traverser sain et sauf l'élément qui l'effraie tant. Sa mère trouve un emploi de cuisinière pour un riche couple de Long Island. Elle meurt peu après, la famille, n'ayant pas d'enfant, adopte Nat. Le mari, Peter Barkavian, le prend sous son aile et lui voue une admiration sans bornes. Nat n'a pas de mal à faire reconnaître son talent artistique et se lie d'amitié avec de célèbres galeristes, poètes et peintres des années 50 (ayant pour la plupart réellement existé). Il expose ses œuvres dans des galeries, mais son père adoptif signe un contrat d'exclusivité et achète toutes ses œuvres à un prix exorbitant. Entraîné par l'esprit de débauche des expressionistes, Nat sombre dans la boisson. Il peint de moins en moins. Il réussit à récupérer quasiment toute sa production artistique et la détruit dans un accès de folie. Une visite chez le peintre Georges Braque finit d'achever le jeune génie, comprenant sa médiocrité, il prend un billet pour le ferry de Staten Island et se jette dans l'océan. On ne retrouvera jamais son corps.
Les petites Hollandaises : Les deux derniers récits sont en grande partie autobiographiques, inspirés de l'enfance de William Boyd en pensionnat. Ils sont écrits comme des scénarios pour la télévision.

Les élèves de l'école écossaise de Strathdonald sont aux anges, on vient de leur annoncer qu'ils vont partir à Amsterdam pour que leur équipe de hockey rencontre celles des écoles locales. L'imagination des jeunes hommes bourrés d'hormones va de bon train, ils s'imaginent déjà avec de superbes blondes à tresses. Quel n'est pas leur bonheur quand ils apprennent qu'ils vont loger chez l'habitant! L'émoi de leur entraîneur n'a pas la même origine, c'est un fan inconditionnel de Van Gogh, il n'a d'ailleurs de cesse de leur rebattre les oreilles avec des détails de sa biographie pendant le trajet, alors qu'eux ne pensent qu'à boire, se saouler et regarder des magazines pornos.Une fois arrivés, deux des élèves : Truelove qui a habilement coulé du plomb dans sa crosse pour l'alourdir, et Lyndon, un fils de riche insupportable sont logés dans une famille bourgeoise. Lyndon est pressé de rencontrer leur fille, malheureusement elle n'a que cinq ans. Les matchs de hockey sont un vrai désastre, les garçons sont plus occupés à regarder les filles que les palets. Truelove rencontre une fille avec qui il a beaucoup de succès mais n'arrive pas à conclure à cause de sa timidité. Le lendemain Dundine, un camarade, lui dit qu'il l'a vue avec un autre homme, il coupe donc les ponts. Lyndon se fait détester de sa famille d'accueil ramenant des filles chez eux, buvant ils attendant son départ avec impatience. Deux jeunes hommes, frustrés de n'avoir pas eu d'expérience avec les autochtones, décident d'aller voir une professionnelle, mais juste après avoir déboursé toutes leurs économies ils se font rattraper par leur coatch et embarquer de force. Vient l'heure de rentrer, les garçons sont déçus par leurs échecs amoureux et sportifs, seul Dundine a réussi à conclure grâce au mensonge qu'il a raconté à Truelove il est sorti avec la fille qu'il convoitait. Ce dernier, écœuré, jette sa crosse par dessus bord.


Si j'aime William Boyd c'est d'abord parce que dans chacun de ses romans il renouvelle son style, passant du comique au tragique, au moderne, au naturalisme, à la biographie. Visions fugitives représente tout à fait cet art où excelle l'auteur, les premiers textes sont fragmentaires, d'où le titre, le second est un délire schizophrénique d'un architecte paysagiste qui sombre dans la folie, orchestré à merveille. Je suis moins emballée par les deux derniers textes sous forme de scénarios, mais les histoires sont elles aussi bien menées et originales. On sent que ce livre a été écrit avec une inspiration profondément cinématographique, sans compter les comédies finales, il y a même des occurrences claires dans le troisième texte, où l'auteur se sert d'une télécommande pour ses souvenirs : play, repeat, rewind, etc. Dans les autres récits, on peut tout de même imaginer les fondus au noir entre les scènes, et même si on ferme les yeux entendre la bande son des différentes actions. J'ai adoré l'idée d'inventer un artiste et de faire sa biographie, avec le côté tragédie grecque de sa mort. Bien sûr le fait qu'il ait brûlé toutes ses œuvres était une idée géniale et a dû beaucoup aider à ce que même les spécialistes tombent dans le panneau de ce canular. Les personnages, comme souvent dans les romans de Boyd sont justes, avec leurs travers qui leur donnent une dimension si humaine. J'ai juste regretté les récits purement biographiques sur son enfance que j'ai trouvés un peu ennuyeux. Boyd reste malgré tout un grand auteur véritable polymorphe littéraire.
Diothyme
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le 29 juil. 2011

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