Frédéric Lordon est un philosophe/économiste qui a l'énorme intérêt de démontrer les liens possibles entre les sciences humaines et sociales et la philosophie notamment celle par exemple de Spinoza, complexe et mal connue (en dépit de sa célébrité). L'auteur s'est beaucoup intéressé à ce qui provoque les révoltes, les mouvements de foule (avant même celui des Gilets Jaunes). Et on peut dire que la philosophie de Spinoza sert à une approche originale et profonde à cette interrogation car elle traite beaucoup du corps, du désir et de la puissance d'agir.
Malheureusement, un tel projet semble quasiment obligé de rencontrer un certain nombre de lourdeur car la langue du philosophe est difficile à lier avec des réflexions limpides d'autant que comme le rappelait Lordon dans un interview à Hors-Série, elle est totalement contre-intuitif. Si bien, que c'est assez agaçant tous ces reproches de la difficulté des ouvrages de Lordon qui omettent les difficultés inévitables de son entreprise (comment par exemple traduire "conatus" par exemple ? Comment trouver un équivalent à "mode" par exemple ?).
Néanmoins, si j'ai trouvé hyper important de faire connaître cette philosophie hélas tellement inconnue, je dois avouer que cette forme d'entretien me semble beaucoup moins intéressante que d'autres de ses ouvrages et je dois un peu me contredire en évoquant la difficulté du style. Car loin de faciliter la lecture, cette forme plutôt oralisée en complexifie pour moi la compréhension, on aborde la question de la possibilité de vivre sans les institutions (polices, normes...) avec une grande liberté en abordant une multitude de sujets. Et pour moi, d'une part cela crée des difficultés pour suivre le plan, mais on passe assez vite d'une question à une autre. Parfois, l'auteur aborde des thèmes qui m'ont plu comme l'amitié, la question de "l'authenticité", mais j'ai trouvé qu’hélas l'auteur expédiait cela un peu vite. Le style d'entretien m'a fait penser à du Deleuze justement que Lordon cite beaucoup et plus particulièrement à "Pourparlers". Je n'ai pas vraiment apprécié la seconde partie car il parle beaucoup de Badiou, Deleuze, Agamben qu'il présente comme philosophies de l'antipolitique dont le propos est sans doute difficile à saisir si on n'a pas lu ces auteurs.
La thèse principale est qu'en appliquant un point de vue spinoziste à la question du vivre sans les institutions, les normes, la puissance du collectif s'exerce nécessairement. Or tout un imaginaire de la gauche s'imagine pouvoir se débarrasser des normes, des institutions, de l'argent, du travail, de la police ne tient pas à cette analyse. Car il en aura forcément. "le social est normes et institutions. Il les secrète endogènement. Le social est le milieu de la vie des hommes, et il l'est nécessairement (p.129)". L'auteur dénonce justement cette croyance d'une possibilité chimérique où les hommes se libéreraient de tout ce qui les oppressent. Du coup, s'il aura forcément de la police, du travail etc. la question n'est plus de vivre sans, mais de réinventer la société pour la rendre plus supportable, plus vivable. Mais cela pose des difficultés devant le problème que nous pouvons supporter à l'instar du modèle des ZAD (Zona à défendre) que l'auteur cite beaucoup, qui souligne que les conditions pour changer complètement de vie sont à la fois drastiques et posent le problème de ce que l'on est capable de supporter pour changer réellement de vie et de société. Cette thèse est séduisante d'autant qu'elle attaque l'idée que la société serait uniquement composé d'individus atomiquement séparés, mais comme je l'ai dis cette forme s'avère trop digressive pour me plaire réellement.
5.5/10