La vulgarisation scientifique opérée par les YouTubeurs suscite souvent beaucoup d'enthousiasme. Les possibilités qu’offrent le web donnent l’impression d’une forme d'accroissement de la connaissance accessible et de la démocratisation de l’espace public où les “amateurs” concurrencent les professionnels. Pourtant ces pro-am (professionnel-amateur) pour reprendre le terme du sociologue P. Flichy, malgré la qualité de certains de leur contenu, ne sont pas sans poser problème notamment à travers les enjeux de la vulgarisation scientifique à l'ère du "Web Social".
La vulgarisation scientifique, comme le souligne Yves Jeanneret, est toujours un discours sur la vulgarisation scientifique donc impose un choix de méthodes, de manière de parler de la science à un public. Le problème du fossé supposé entre le public et la science qu’encourage la croyance d’un progrès grandissant des sciences n’est pas dénué d’une forme de sacralité de la science. Cette idée d’un progrès grandissant des sciences où la vulgarisation scientifique s’apparente à une grande histoire lisse et linéaire est pourtant problématique comme le souligne Bensaude-Vincent car englober l’œuvre d'un Fontenelle comme un texte de vulgarisation est en fait un anachronisme(*). Autre problème, “Vulgariser” comme le rappelle Yves Jeanneret (spécialiste de la vulgarisation scientifique) est un mot qui pose problème. “le terme latin vulgus désigne la foule indistincte, anonyme, plutôt que le peuple souverain qui vote. [...] Il évoque la multitude anonyme de gens peu cultivés, par opposition aux savants, sapientes. La parole de science ne s’adresse pas aux savants, aux pairs, mais à un public défini par un « manque ». La vulgarisation s’impose comme une mission nécessaire à un public en manque de science”.
Les nombreuses simplifications ou volontés de rendre le tout intelligible du vulgarisateur peut donc paraître gênant parce qu’elle peut donner l’impression d’infantiliser le public bien que cela ne soit pas nécessairement la faute du vulgarisateur. D’ailleurs, on peut voir à quel point la vulgarisation peut vite amener vers une obsession de l’intelligibilité. L’idée qu’un propos complexe soit sujet à violence symbolique et donc doit être évité sur YouTube amène à une position intenable car elle condamne tout propos complexe (telle une formule mathématique). Cela entretient la croyance que tout savoir peut être forcément intelligible sans nécessiter d’effort particulier. Or une telle idée qui fait de la vulgarisation une simple opération de transmission de connaissances pose problème dans sa représentation du savoir car comme le rappelle Bernard Schiele “l'acquisition des connaissances est un processus complexe qui ne s'effectue certainement pas par un seul canal ni ne s'intègre en une seule fois, pas plus que le savoir ne se diffuse en bloc ; il implique lui aussi des médiations multiples”. La transmission de connaissances ne constitue la seule finalité. Par exemple, il ne faut pas négliger la dimension cognitive avec la capacité que la science elle-même puisse être sujet de réflexion.
Les émissions de vulgarisation sur le Web en plus de jongler avec ses problèmes se retrouvent confrontées au problème de la relation de l’auteur (configuré) avec son public, relation supposant horizontalité du rapport. Le subjectivisme de l’émission renvoyant à son auteur donc au relativisme de ses opinions puisqu’il l’évoque qu’en tant qu’individu. Toute position extérieure à ce rapport est tout de suite problématique parce qu’elle s’oppose au principe de “citoyenneté”. Il n’est donc pas étonnant que la vulgarisation scientifique soit sujet à remettre l’autorité en question (l’école plus particulièrement) en dépit des efforts des vulgarisateurs car l’exercice de “la citoyenneté” suppose égalisation et horizontalité. Si le vulgarisateur peut paraître à égalité avec son public en évoquant simplement son propos en tant qu individualité, que citoyen etc, ce n’est pas le cas de l’école qui se trouve en contradiction avec la citoyenneté, le “vivre-ensemble” par ces vulgarisateurs en ayant par exemple la prétention de transmettre des connaissances.
Tout cela pour défendre que je ne trouve pas que l’on apprends beaucoup de ce genre d’émission ou du moins pas autant que cette "démocratisation de l'espace public" peut le laisser croire tout en cherchant à mettre en évidence la position délicate du vulgarisateur scientifique sur le Web. Qu’il développe des connaissances est certes louable, mais il y a quoi douter que les émissions de vulgarisation scientifique participent à un accroissement de la connaissance tout comme à celle de "l'idéologie du progrès" d’autant que de nombreux travaux ont montré que l’accès à l’information ne suffit pas à garantir l’acquisition de connaissances.
(*) Texte sur l'histoire de la vulgarisation scientifique (Bensaude-Vincent)
https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/368