Prise en août 1946, la photo de Robert Capa, intitulée « La tondue de Chartres », est largement connue. Elle représente une jeune femme, livrée à la vindicte populaire, tenant son bébé dans les bras et entourée d’une population en train de la conspuer après l’avoir tondue. Elle illustre ce qu’a été l’épuration à la fin de la guerre. C’est sur la base de cette photo que Julie Héraclès construit son récit en donnant vie à celle qu’elle a choisi de nommer Simone Grivise et pas Simone Touseau comme dans la réalité.
Et cela fait toute la différence, car l’auteure ne fait pas œuvre d’historienne ici mais bien de romancière. Il ne faut donc pas s’attendre à découvrir la vraie Simone (pour cela il existe d’excellents documentaires) mais bien un personnage de roman. L’auteure se glisse ici dans les blancs laissés par la reconstitution, dans les interstices d’une vie dont tout n’est pas entièrement connue.
Ce qui est intéressant, c’est que Julie Héraclès a choisi de ne pas faire de sa Simone un personnage très sympathique. Elle dresse même plutôt le portrait d’une petite dinde orgueilleuse, envieuse, revancharde, arriviste et opportuniste. Et même si la vie lui a réservé quelques mauvais tours, on ne ressent pas particulièrement d’empathie pour elle.
Il aurait été simple de tomber dans la facilité de faire d’elle une victime, plaçant ainsi le lecteur directement dans son camp. Là, l’auteure joue avec toutes les nuances de l’âme humaine et en cela, le parti-pris est osé.
On suit ainsi ce personnage, sa jeunesse à Chartres, ses études. On comprend qu’elle est intelligente mais surtout ambitieuse. Qu’elle veut sortir de sa condition et que pour cela elle est prête à beaucoup de compromissions.
D’où sa décision, pleinement consciente, de se ranger du côté de ceux qu’elle considère comme les vainqueurs alors même que les actions des nazis sont de plus en plus largement connus. Elle décide de travailler comme traductrice pour les Allemands. Et c’est là qu’elle rencontre Otto, avec qui elle vivra une histoire d’amour et dont elle tombera enceinte.
C’est probablement cette histoire qu’elle vivra le plus sincèrement, même si cette relation est au début, pour Simone, une occasion de se placer et de bénéficier d’une vie meilleure que ses voisins. Voisins que ses parents finiront d’ailleurs par dénoncer à l’occupant.
Pour raconter cette histoire, et se tenir au plus près du personnage, Julie Héraclès utilise un phrasé très parlé, plutôt populaire ainsi que des mots d’argot qui rappelle les origines de Simone.
Un premier roman réussi, qui n’a pas pour objectif de réhabiliter Simone Touseau ni de faire du lecteur un juge, mais simplement de donner un autre angle de vue par le prisme du roman.