Céline le dit lui-même dans un entretien de 1960 : Moi j'ai fait passer le langage parlé à travers l'écrit. D'un seul coup. Peut-on mieux décrire son style, sa révolution littéraire ?
Je suis un styliste, dit-il, et oui, c'est indéniablement vrai ; jamais on a écrit comme ça, jamais on a mêlé avec tant de finesse et de génie la grossièreté de l'oralité à la beauté de la littérature, jamais on a touché au vrai d'aussi près rien qu'avec un choix de forme. Mais Céline écrit bien dans (presque) toutes ses publications, alors pourquoi est-ce Voyage au bout de la nuit qui s'est imposé comme le chef d'oeuvre de son auteur et de son siècle ?
Quand Céline parle de la guerre, il parle en réalité de la peur. Quand il parle de colonisation, il exprime la colère, et quand il parle de New-York, la ville debout, et de l'industrialisation, c'est la solitude qui est son vrai sujet. Il passe en revue les événements majeurs du début du siècle mais c'est quand il s'en sert pour parler de l'homme que Céline est brillant, le reste est une toile de fond, un théâtre d'affres dont l'homme ne peut s'échapper.
Si je veux être honnête, je dois bien mentionner que c'est un livre occasionnellement drôle, même s'il n'est (à raison) pas connu pour ça, et que Céline a un talent pour trouver des phrasés aussi tristes qu'amusants. Bon ça reste dans l'ensemble le roman d'un drame absolu, le plus triste que j'aie jamais lu, mais il faut le lire.
En somme, tant qu’on est à la guerre, on dit que ce sera mieux dans la paix et puis on bouffe cet espoir-là comme si c’était du bonbon et puis c’est rien quand même que de la merde.