Lolita ça ne devrait même pas être un nom commun, c'est un surnom, c'est elle, ce n'est pas une catégorie d'enfants, pas une nymphette ; il n'y a pas de nymphette, il n'y a que les élucubrations d'un pédophile qui tente de justifier son crime.
C'est un roman osé, peut-être... moins dans son thème et dans son propos que dans sa façon de l'aborder. C'est ici l'expérience d'une lecture qui nous confine avec un je omniprésent, drôle, intelligent, régulièrement lucide mais singulièrement aveugle à l'horreur de ses actes. C'est au lecteur de comprendre à qui il a affaire et de blâmer l'homme qui lui raconte son récit, car Humbert Humbert ne le fera pas ; ou à moitié, pour mieux attirer l'empathie...
Doit-on le haïr avec une telle force qu'il faille rejeter de bout en bout tout son témoignage, tout contredire, ne rien chercher à savoir ? Non, on peut l'écouter, saisir comment il manipule, comprendre comment il fonctionne, reconnaitre ses moments de sincérité et de vulnérabilité, on peut plonger avec lui dans sa tête, s'abandonner à l'expérience dérangeante ficelée par Nabokov et le laisser patiemment dérouler le fil de ses pensées... sans rien excuser.
Oui, on peut faire tout ça, c'est tout l'intérêt de ce roman : il le permet. Mais ce n'est ni l'apologie de la pédophilie ni la tentative foireuse de suggérer la théorie de l'existence des "lolitas" sans L majuscule : c'est le roadtrip criminel d'un narrateur inexcusable et d'une enfant à laquelle Nabokov ne donne jamais la parole mais que l'on voit, nous, au-delà du regard pervers de son ravisseur, nous la voyons pour ce qu'elle est vraiment, pas un démon : nous la voyons, elle n'a que douze ans et elle ne s'appelle pas vraiment Lolita.