Qu'écrire de pertinent qui n'ait été déjà dit sur cette oeuvre qui, à ma grande surprise, supplante tout ce que j'ai pu lire auparavant.
Céline l'a assez répété : son oeuvre, c'est le style. Point. Tant pis pour les surinterprétations. Voyage au bout de la nuit n'est pas une oeuvre philosophique, encore moins un enseignement de vie.
Voir à ce sujet cette entrevue : https://www.youtube.com/watch?v=WmL56-cFrz4&t=615s
Ce roman, c'est une sensation. C'est un long frisson de dégoût douloureusement agréable. C'est une douce nausée, une conscience pleine et une sincérité aiguisée comme un rasoir. On n'en sort pas indemne. Le style percussif, capable d'encrer la sublîme oralité du langage parlé dans une aventure, un voyage au plus profond du malheur, qu'il soit celui de la guerre, de l'ennui, de la vaine quête de sens et de la fatigue. De ces pérégrinations naissent une poésie malgré elle, un papillon irisé dans le mazout où on ne l'attendait pas. Voyage au bout de la nuit est poétique au delà de tout.
Je l'avais bien senti, bien des fois, l'amour en réserve. Y'en a énormément. On peut pas dire le contraire. Seulement c'est malheureux qu'ils demeurent si vaches avec tant d'amour en réserve, les gens. Ca ne sort pas, voilà tout. C'est pris en dedans, ça reste en dedans, ça leur sert à rien. Ils en crèvent en dedans, d'amour.
D'autre part, on dit souvent qu'il faut séparer l'oeuvre de l'auteur. "J'aime l'oeuvre de Céline, pas l'Homme nous dit Luchini." Mais bien sûr qu'il se trompe. L'oeuvre et son auteur font corps, quels que soient ses convictions et engagements, ses excès et prises de positions. On ne garde de Céline qu'un aspect que je ne rappellerai pas tant il a été épuisé. Mais on oublie trop souvent qu'il s'agissait d'un médecin qui a soigné les pauvres toute sa vie, recueilli chiens, chats et oiseaux et autre animaux errants, un pacifiste qui refuse la guerre plus que quiconque. Je connais des gens aux propos bien plus apparemment modérés qui ont déclenché, participé ou cautionné des massacres de masses tout sourires, c'est même assez à la mode. Dans un monde où l'opinion est pré-conçue et où on ne s'informe peut-être plus assez par soi-même, il est facile de tomber dans une facilité manichéenne. Notez bien-là que je n'émets aucun avis quant à ses propos polémiques. Il s'agit d'une expérience de l'oeuvre uniquement. Il est juste d'adopter une position modérée et informée, de prendre en compte le bon et le mauvais dans Céline pour en comprendre toute l'essence.
Je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans. Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi...Je la refuse tout net avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient ils 995 millions même et moi tout seul, c'est eux qui ont tort et c'est moi qui ai raison car je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir.
Quoiqu'on pense de Céline, on lui doit au moins le respect de ne pas le dissocier de son oeuvre. Du reste, il appartient à chacun de se faire son opinion.
Voyage au bout de la nuit est le cri le plus désespérément humain d'un homme battu par la vie. C'est une consciente déchirante de l'absurde en somme, ça me rappelle l'Etranger...
C'est peut-être ça qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir
Si vous ne l'avez pas encore lu, choisissez un moment dans votre vie ou vous ferez le choix d'emprunter ce court chemin au bout de la nuit, dans les tripes, la merde et le vomi, la conscience, l'amour et la vie. Cela changera à coup sûr, la vôtre pour toujours.
Évidemment Alcide évoluait dans le sublime à son aise et pour ainsi dire familièrement; il tutoyait les anges, ce garçon, et il n'avait l'air de rien. Il avait offert sans presque s'en douter à une petite fille vaguement parente des années de torture, l'annihilement de sa pauvre vie dans cette monotonie torride, sans conditions, sans marchandage, sans intérêt que celui de son bon coeur. Il offrait à cette petite fille lointaine assez de tendresse pour refaire un monde entier et cela ne se voyait pas.
Il s'endormit d'un coup, à la lueur de la bougie. Je finis par me relever pour bien regarder ses traits à la lumière. Il dormait comme tout le monde. Il avait l'air bien ordinaire. Ça serait pourtant pas si bête s'il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants.