C'est le dernier livre intégralement écrit par Steinbeck, et ça se sent. Il achète un camion qu'il aménage en caravane et choisit, à 58 ans, de se prouver qu'il peut encore voyager en solo à travers les Etats-Unis. Pendant 8 mois, sa seule compagnie permanente sera son chien Charley, un caniche français. Steinbeck part de New York, file d'abord vers le nord-est (New Hampshire), puis repart jusqu'à Chicago, traverse les grandes plaines jusqu'au Montana, descend jusqu'à la côte californienne qui lui est si familière, traverse le Texas, la Nouvelle Orléans, puis rentre en catastrophe chez lui.
L'idée de Steinbeck était d'aller à la rencontre d'un pays dont il se sentait coupé par plusieurs décennies de célébrité. Le pays avait en effet changé : l'Amérique des années 1960 lui était visiblement étrangère, et apparaît peu dans ce texte.
C'est un journal de voyage, en quatre parties faiblement individualisées, avec des chapitres courts, qui se lisent bien. Pas de récit par date ou ce genre de choses, et Steinbeck occulte délibérément tous les épisodes qui ne sont pas un "voyage" (comme une halte de plusieurs jours à Chicago). L'auteur privilégie les choses vues, les rencontres, les anecdotes dont il aime à tirer des généralisations.
Le début est vraiment prenant, car Steinbeck est fasciné par ce que devient son pays : les montagnes de détritus aux abords des villes, le caractère aseptisé des aires d'autoroute et du milieu dans lesquels vivent les routiers avec qui il discute, le patrimoine culturel marketisé, le développement des mobile homes... Steinbeck cherche aussi les particularités entre les Etats, que ce soit les panneaux d'autoroute, le parler, les paysages, l'attitude des gens. Il en résulte que l'uniformisation croissante avait déjà pratiquement tout détruit dans les années 1960, le seul Etat trouvant grâce aux yeix de S. étant le Montana. Le retour dans le Sud est le plus déprimant, car S. se rend compte qu'il n'y a là-bas que des souvenirs d'un passé révolu pour lui.
Il est aussi amusant de voir S. prendre les trucs des voyageurs au long cours : les stratagèmes pour lier la conversation, etc... Il ne cache pas ses échecs, et au final le nombre de personnes marquantes qu'il rencontre est assez faible (l'acteur dans le force de l'âge, la famille du mobile-home, les saisonniers canadiens, un étudiant noir énervé juste après un raciste profond...).
L'art de Steinbeck à rendre les choses intéressantes rend certains de ses récits un peu suspects, un peu comme un blogueur qui en rajouterait de peur de manquer de fond. S. fustige l'image qu'on se fait des gens, mais au fond il conclue lui-même que parfois on n'a pas tort. Les péripéties liées à Charley (ses amours canines, sa prostate, des dialogues imaginaires avec Steinbeck) donnent aussi l'impression qu'il meuble un peu comme il peut.
Au final, ce voyage n'a rien d'une enquête anthropologique sérieuse, et nous en apprend plus sur Steinbeck à la fin de sa vie que sur l'Amérique des années 1960. Comme quoi les choses vues en voyage ne sont souvent que le miroir des états d'âme du voyageur... Et peut-il en être autrement ?