Chef d'oeuvre de la littérature anglo-saxonne datant de...1972 ? Comment ça, 1972 ! Je sais bien que c'était hier mais enfin quand même, pourquoi n'en entend-t-on parlé qu'aujourd'hui ? Eh bien je ne sais pas. Je ne l'ai pas vu passer, moi, Richard Adams. Un homme de Lettres à l'échelle de Tolkien et Lewis, un politicien aussi, puisqu'il travaillait aux côtés du ministre de l'agriculture avant de devenir, suite à Watership down, un romancier à plein temps. Un ancien soldat, puisqu'il a été mobilisé pendant le conflit de 1939-1945...bref un parcours surprenant qui est venu alimenter le contenu de ce livre.
Cette édition, vous l'avez vu récemment chez vos libraires: depuis l'automne dernier, cette belle couverture d'un pavé de 500 pages nous à fait nous demander, "mais qu'est-ce que c'est ?"
Ce que c'est, c'est un conte-fleuve, accessible dès l'adolescence, qui a été dépoussiéré par les éditions Toussaint Louverture de façon assez récente (merci à eux). C'est l'histoire de lapins qui sont délogés de leur garenne natale par les hommes qui arrivent avec leurs gros sabots, leurs tracteurs et leur goudron. Lorsqu'un lapin prophète, un peu excentrique, annonce, suivant son instinct, qu'il leur faut partir, c'est le début d'un véritable exode (nom de la première partie du livre). Leur objectif : une nouvelle garenne idyllique du nom de Watership Down, une terre promise où il fait bon vivre, où ils pourront manger à leur faim en paix à l'abri des hommes et des prédateurs. Le problème c'est que la route est longue, et que pour arriver à Watership Down, c'est une véritable lutte qui est annoncée: liberté, convictions, corps, liens, vont être malmenés. Et, est-ce que tout cela en vaut la peine ? Et au nom de quoi ?
Vous l'aurez probablement deviné à la lecture de ce pitch (sans spoiler), ce conte qui a aussi été qualifié à juste titre de "fable politique" est fort d'une réflexion intemporelle et donc d'actualité. Rapport à l'étranger, au droit du sol, aux racines, aux valeurs personnelles et culturelles, à la migration, à la liberté et au totalitarisme. Vaste programme ! Et ce qui est magnifique c'est que c'est tellement bien écrit et finement emballé dans un univers animalier que ça se lit tout seul. Il y a pas mal de suspense, les pages se tournent à une vitesse folle. Pour vous donner un peu une idée de l'attrait, dans l'histoire de l'édition, Watership Down à sa sortie, c'était un peu Harry Potter : ça marque parce que ça peut plaire à des lecteurs d'âges variés. Pour vous donner une idée du contenu, vous allez retrouver le plaisir de vous promener dans des paysages très verts, c'est dans ces mêmes collines qu'est née l'idée de la Comté des hobbit. En même temps, il y a de la mythologie parce qu'une telle épopée ça rappelle les récits initiatiques de l'Eneide, l'Odyssée...voilà. en clair, ça ne laisse pas indifférent, ça appelle plusieurs niveaux de lectures qu'on veuille le lire par plaisir ou pour se touiller les méninges.
Ce que je trouve bien aussi (on ne m'arrête plus...j'ai adoré) c'est que même si ça commence un peu comme la série des Animaux du bois de Quat' Sous on va après vers quelque chose de plus sombre et de beaucoup moins simple. Adams a mis en place par exemple un vocabulaire propre aux lapins, et développant ainsi une sorte de culture propre qui vient aussi interroger la spiritualité et donner beaucoup de relief à son histoire. En prime, beaucoup de poésie dans l'écriture mais aussi dans les choix de citations qui entament chaque chapitre.
En bref, un véritable voyage que je vous encourage à faire, quelque soit votre âge. Pour ceux qui sont un peu moins lecteurs, ou qui ont des enfants, apparemment une très bonne adaptation en dessin animée a été faite il y a quelques années. J'espère que c'est le genre de livre qui passera très vite dans les mains de nos collégiens, nos lycéens, nos futurs votant. Aussi percutant que le roman graphique Maus de Spiegelmann et véhiculant des questions, des réponses, tout aussi efficace. Le livre est un coût, mais un achat que vous allez conseiller, prêter...faites tourner.