Vous ne vous êtes jamais demandé après avoir observé un carré d'herbe lors d'un pique-nique (par exemple), ou après avoir bullé une après-midi dans un paysage idyllique, ce que ce petit écosystème devenait une fois que vous l'aurez quitté ? Bon moi si. Cette petite coccinelle que j'ai sauvée des griffes de mon chat en la déposant dans une plante immense comme un parc national, cet écureuil qui grignotait tranquillement sa noisette en me surveillant du coin de l’œil... sitôt rencontrés, sitôt oubliés. Pourtant leurs vies à eux continuent aussi. Un peu comme les lapins de garenne de Watership Down.
Watership Down c'est bien plus qu'un conte animalier, et ça n'est surtout pas une fable gentillette où des lapins angoras batifolent au soleil en se faisant parfois happer par un chat ou une balle de fusil. Vous aurez votre quota de peur, de souffrance, d'héroïsme, d'abnégation, de bravoure, vous resterez aux aguets au détour de chaque chapitre, comme un lapin farfalant d'un oeil inquiet, dans l'appréhension perpétuelle qu'un vilou le surprenne.
Malgré une trame qu'on pourrait qualifier d'abracadabrantesque (une poignée de lapins quittent en catastrophe leur garenne, guidés par un compère aux visions angoissantes et prémonitoires, rencontrant sur leurs chemins des péripéties dignes d'un Star Wars), le récit fait la part belle aux descriptions naturalistes et éthologiques : les tableaux riches en couleurs des saisons, tous ses mots doux à l'oreille comme marjolaine, pimprenelle, cerfeuil, vipérines, centaurées, tormentilles jaunes, brunelles pourpres, armoises ou chardons... m'ont rempli de félicité, embaumant littéralement les pages ! Les interactions sociales entre les lapins m'ont semblé très documentées et justes, le lecteur n'est jamais pris pour plus bête qu'il n'est et on se surprend à ressentir un profond attachement pour ces bestioles, leurs fables collées serrées dans leur terrier, leur cache caillou, leur farfal mélancolique et leur raka pragmatiques. Mythologique aussi, Watership Down est une pièce de littérature. J'ai parfois compté les pages, me demandant où on voulait m'amener, mais je suis un peu sfar maintenant, d'avoir quitté ces valeureux lapins qui ne manquent pas de poésie.