Incontournable Octobre 2022



Je vois apparaître de plus en plus de romans en littérature intermédiaire (8-12 ans) proposer des récits à saveur environnementale et compte tenu des enjeux liés au climat instable et à la pollution engendrée par l'homme, c'est une excellence chose. En particulier pour nos jeunes, dont la mobilisation et la conscientisation sont des exemples pour nous, adultes. Willodeen nous offre non seulement une tribune pour parler de l'importance des écosystèmes, mais également de la prise de position de notre jeunesse, qui malgré leur jeune âge, ont un réel intérêt politique pour les enjeux liés au sort de notre planète. C'est, en outre, un beau roman sur les liens affectifs.



Dans un monde qui pourrait être le nôtre, mais qui ne l'est pas, il existe des créatures au statut bien inéquitable. Les jolis fredounours, petits oursons ailés , sont adorés des habitants de Parchance. Avec leur nids en forme de bulles dans les saules, ces petites créatures roucoulantes sont un véritable moteur économique attirant les touristes et servant de pilier aux artisans de toute sorte. Au contraire, les brailleurs, sangliers au manteau bleu, à la queue hérissée de pointes et dont le hurlement dérange autant que leur odeur nauséabonde, sont chassés. Willodeen et son père sont les seuls à admirer ces animaux mal aimés, convaincus du rôle de chaque espèce dans le monde du vivant. Quand la jeune fille perd ses parents et son bébé frère dans un incendie causé par les vents chauds ( appelés "souffles de dragons"), la demoiselle se fait adopter par deux femmes singulières, mais aimantes. Elle remarque la disparition des brailleurs, dont elle condamne la chasse. Seulement voilà, les puantes bêtes disparues ne sont pas les seules, car les mignons fredounours ne font plus leurs nids dans les saules bleus et ne migrent plus à Parchance. Lorsque Connor, son très nouvellement ami, lui offre un brailleur artisanal en feuilles et en branches, Willodeen ignore encore que lorsqu'elle versera sur lui des larmes de colère, résultat de son humiliation au conseil de ville, l'objet prendra vie. Est-ce que ce bébé brailleur magique saura la mettre sur la voie quand à l'équilibre naturel rompu?



On se laisse emporter dans cette histoire comme une feuille d'automne au vent. On nous dépeint une petite fille qui nous parle de son amour pour les mal aimés et qui entretenait une passion commune avec son père pour la faune. Alors qu'elle grandis, on prend conscience de son décalage avec les autres. Willodeen est une sorte de Greta Thunberg, nullement impressionnée par le matériel, opiniâtre, assurément atypique et convaincue de la justesse de sa cause. La jeune fille est victime de l'injustice des adultes à l'endroit des enfants, toujours à minimiser l'importance de leur parole ou de leurs aspirations. Pourtant, Willodeen sent que l'enjeu majeur de leur communauté, à savoir la perte de leur mascotte économique, est lié à la disparition des brailleurs. Elle sait regarder au-delà des aspects rebutants également. Sa fascination du monde vivant l'amène à voir les choses sous un angle différent. Hélas, elle est perçue comme une olibrius, une petite fille déscolarisée malpropre qui a des lubies dérangeantes.



L'idée du personnage jeune et différent n'est certainement pas nouvelle, mais le personnage féminin amie des animaux qui défend les créatures moins estimée, qui se montre critique des humains et peu portée sur la superficialité est somme toute nouveau. Elle me rappelle April, dans "April et le dernier ours". Son contact avec les autres gens est difficile, elle-même se montre méfiante et peu portée sur la sociabilité, mais en même temps, quand on entretient un dialogue de sourds avec les autres, difficile de lui reprocher. J'aime bien les autres personnages aussi, à commencer par ses deux tutrices légales, Mae et Birdie. Femmes de théâtre, pauvres, un peu "sorcières", elles sont attentives, empathiques, bienveillantes et aiment sincèrement Willodeen.Elles croient à la magie. Tout l'opposé du stéréotype de la marâtre cruelle et intéressée ou de la tante avide et tyrannique, ce duo de femmes est le bienvenue dans la littérature jeunesse. Elles sont un bel exemple que les liens du sang ne sont pas les seuls à pouvoir engendrer un amour sincère et inconditionnel et offre à un personnage orphelin une chance de grandir dans un milieu aimant.



Nous avons les deux personnages animaux, avec Duuzuu, le fredounours aux ailes endommagées par un incendie et ne pouvant guère voler, et Quinby, la brailleuse engendrée par les larmes de colère de Willodeen. Ces deux créatures sont d'ailleurs sur la couverture. Quinby est le premier personnage a tenir le récit. Elle apparait ensuite entre les chapitres, en police grasse et en narrateur omniscient. Nous avons donc son point de vue dès le début, mais nous ignorons qui elle est et comment elle est arrivée là. On apprendra plus tard que ces chapitres courts donnant le point de vue de Quinby sont l'oeuvre de Connor, qui écrit l'histoire de cette petite brailleuse dont il est le père.



Connor est un jeune garçon artiste qui crée des animaux à partir de matériaux naturels et qui écrit. Il tente d'apprivoiser Willodeen, très farouche au début. Avoir des relations amicales n'est clairement pas facile pour elle, mais en même temps, étant meurtrie de sa perte familiale, elle a peut-être aussi des réserves à forger de nouveaux liens qu'elle pourrait perdre à leur tour. J'aime bien que ce soit le garçon qui apprivoise une fille taciturne et farouche, car je vois beaucoup plus souvent l'inverse.



Le deuil est un thème dans le roman. Willodeen a beau avoir vécu quelques années depuis la mort de sa famille, elle se réveille encore en pleurs et en hurlant. Elle repense souvent à ses proches disparus avec un cuisant sentiment d'injustice. Elle a donc un traumatisme, qui requiert de la patience et du réconfort encore aujourd'hui par ses deux tutrices. Je trouve leur compassion et leur affection très touchante. En même temps, elles constituent à elles trois une jolie unité familiale atypique, une représentation familiale peu visible dans la littérature jeunesse.



L'un des enjeux de l'histoire est la difficulté de Willodeen a se faire entendre des instances du village. le conseil de ville tient des assemblées, mais elle a eu du mal à se faire entendre la première fois. Une réalité bien réelle dans notre monde également, pas seulement par les mineurs de moins de 18 ans, mais aussi par certains groupes, comme les écologistes, taxés de "freins économiques", bien souvent. le roman comporte donc une dimension intéressante sur le volet de la politique.



Attention - Dilvugâche*

Enfin, Willodeen trouvera le lien entre la disparition des fredounours et des brailleurs. Sans entrer dans les détails, il se trouve que les fredounours profite du régime alimentaire des brailleurs. Il faut donc leur retours pour rééquilibrer l'écosystème. La présence de Quinby a tout changé et aura donné la clé du mystère entourant la disparition des fredounours.



C'est un univers sans doute Fantasy, d'abord en raison des espèces animales imaginaires, souvent des embriquements de divers animaux pour en faire de nouveaux. Ensuite, nous avons une sorte de climat inversé: plutôt qu'un automne plus frais avec des feuilles aux tons chauds, on a une sorte d'automne chaud avec des feuilles aux tons froids. Les "souffle de dragon" sont dangereux, car ils peuvent causer des incendies. L'incendie de l'histoire me rappelle ces incendies majeurs survenus à Londres, en 1666 et celui de New York en 1835, laissant des morts et de la dévastation dans ces villes importantes. Ces vents chauds semblent prendre en intensité dans l'histoire. Il est donc envisageable que dans ce monde, des changements climatiques aient lieu aussi.



C'est donc un beau roman, touchant, inspirant et sur des thèmes actuels. Il se lit fort bien et est un tome unique, ce qui peut plaire aux jeunes lecteurs qui préfère les monographies aux séries. Il est illustré joliment également. Un petit roman parfait pour le temps des fêtes et suffisamment universel pour plaire à large spectre.



Pour un lectorat à partir du second cycle primaire, 8-9 ans en montant.

Créée

le 19 févr. 2023

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Shaynning

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