La différence entre De Gaulle et Churchill c'est que De Gaulle avait une « certaine idée de la France » et il pensait être celui qui permettrait à cette idée de devenir réalité, alors que Churchill avait une certaine idée de lui-même, et pensait que l'Empire britannique devait être au service de cette réalisation.
En dépit de ce que dit Kersaudy (étrangement d'ailleurs car il revient pourtant régulièrement sur cette thèse qu'il commence par chasser), il est fort probable que le défaut d'amour parental soit en grande partie à l'origine de cette monstruosité ! Non seulement parce que Churchill fut un enflé (de soi) mais aussi parce qu'il fut le défenseur d'un système politique national et international particulièrement ignoble. Et son rôle pendant la seconde guerre pondiale n'y change rien : il fut motivé par ce projet de pérennisation d'un Empire criminel.
Churchill, fut, j'estime, l'un des pire personnages du 20e siècle, qui, par exemple, faisait tirer sur les grévistes sans l'ombre d'une hésitation, autant pour que l'économie reprenne que pour dissuader toute velléité de justice sociale chez les travailleurs ; qui se réjouissait même, vraiment, des dégâts des armes automatiques de l'armée anglaise sur ceux que Kersaudy appelle sans même sembler y voir une offense à tout esprit de justice, des « rebelles » dans les colonies de l'Empire – mais rebelles à quel ordre si ce n'est celui des colons britanniques venus mettre à sac la terre, la culture et les habitants-mêmes de ces contrées pour leur seul profit économique ?
Kersaudy semble ne voir dans ces abominations (plus ou moins mentionnées, en tout cas jamais reconnuse en tant que tel) rien que de très louable : les étapes du parcours exceptionnel (entendre par là, admirable), d'un homme qui s'efforça de faire vivre sa conviction : celle de la supériorité ce certaines races sur d'autres, de certaines classes sur d'autres, de lui sur tous.
Kersaudy n'écrit pas une biographie mais une hagiographie, très proches par instants de la mythographie. Bien tournée certes, renseignée à l'occasion (mais adorant l'anecdote bien plus que l'analyse matérialiste des rapports de force et ne s'encombrant pas de certaines vérifications dès lors qu'il s'agit d'incriminer l'Union soviétique – cf. les contre vérité sur les négociations d'avant-guerre, le pacte germano soviétique ou encore le massacre de Katyn ; voire pour cela les travaux Geoffrey Roberts ou Grover Furr) ), le texte est terriblement orienté, gravement partisan. Les encensements constants de l'homme sans peur du danger physique (pour lui mais aussi, du coup, pour tous les autres qu'il expose tout autant), du travailleurs infatigable (qui avait une armée de petite mains, menée à la baguette et aux caprices), de l'orateur hors pair (au service de quel projet ?) tissent la toile d'un portrait en forme d'éloge béat devant un décor rien moins que subjectivement esquissé : l'image d'un surhomme, « au-dessus des hommes et plus au-dessus des hommes que ceux-ci ne le sont du singe » mais qui, contrairement au modèle nietzschéen, n'a pas seulement le souci de transcender sa propre existence, mais bien (et pour ce faire) l'ambition de gouverner les autres, de les diriger, de les dominer.
En donnant toute légitimité à cette ambition personnelle, celle de se faire un nom, celle de défendre l'idée d'empire, en se faisant la plume laudatrice d'un homme constamment face aux autres (et même au-dessus, en bon partisan de l'aristocratie que Churchill ne cessera jamais d'être comme en témoigne son attention particulière à écrire l'histoire de ses nobles origines), contre les autres donc plutôt que parmi eux, en jugeant des plus louables l'histoire de cet individu et du modèle de civilisation et de société qu'il défendit, Kersaudy écrit un roman que je serais presque tenté de dire « national-individualiste » : celui d'un ennemi juré du communisme (et non pas du régime soviétique dont Churchill peut même envisager de tirer profit) bien plus que du national-socialisme (que l'on songe au plan unthinkable… quand même). Celui d'une idée de l'homme et des rapports humains qui a écrit, pourtant, les pages les plus sombres de notre passé et qui noircit celles de notre avenir.