Si je vous parle de Clark Ashton Smith, il est fort probable que vous ne voyez pas de qui on parle, et pourtant : il est l'une des figures iconiques de Weird Tales, un grand ami de Lovecraft et l'un des auteurs phares pour quiconque désire découvrir un pan oublié de la dark-fantasy des années 30.
Ironiquement, Ashton a vécu l’inverse de Lovecraft en ce qui concerne la réception de son œuvre : d’abord connu de son vivant avec une certaine réputation dans les cercles littéraires, il est depuis tombé dans l'oubli, là où Lovecraft accapare désormais toutes les attentions avec des adaptations graphiques de tous bords.
La vie et l’œuvre du Maître de Providence ont déjà été analysés et réédités sous toutes les coutures… Mais quant est-il de Ashton Smith, ce jeune homme né en 1893, à la carrière pourtant prolifique et tout aussi intéressante ? La réponse se trouve sûrement dans Zothique, recueil de nouvelles édité par les éditions Mnemos, dont nous allons décortiquer l'ensemble.
L'œuvre de Ashton Smith illustrerait à la perfection ce que serait l'après-Lovecraft (dans le sens chronologique des évènements du Mythe de Cthulhu). Imaginez : les Anciens Dieux, sortis de l'obscurité, reprennent place aux côtés des hommes, désormais réduits à peau de chagrin et condamnés à arpenter les plaines moribondes de Zothique, dernier continent existant. La géographie d’un tel lieu semble tout droit sorti de l’esprit d’une peinture de Beksinki, et le simple fait d’y retrouver humains et divinités au sein de la même bacchanale infernale interrogera tout fan de Lovecraft qui se respecte.
Les seize nouvelles qui composent ce recueil donnent ici lieu à des aventures mêlant sword and sorcery et horreur divines... mais sans le cuir et les biceps de Robert Howard, et sans l'aspect cosmique de Lovecraft. Pour prendre un exemple pertinent, la première nouvelle, L'empire des Nécromants, raconte l'avènement de deux sorcier nécromants ayant construit leur propre empire sur les cendres des os blanchis des morts. Aucune happy end n'est à envisager, bien évidemment, car la mort et le désespoir sont les seuls sentiments tolérés sur Zothique.
Cette notion de mort habite d'ailleurs l'ensemble de l'œuvre, tant le continent semble condamné à une lente agonie, physique et spirituelle : les morts eux-mêmes ne trouvent plus le repos, tandis que les vivants se déchirent entre manipulation nécrophiles et guerres infâmes.
Influencé par les cités orientales sortis de nos pires cauchemars, Ashton Smith imagine des lieux de perdition totale, comme avec Le Dieu Nécrophage, où une cité voue un culte absolu à une entité qui s'accapare tous les morts, et où un prince tente en vain de récupérer son être aimé. La quête de l'amour est l'un des moteurs de plusieurs récits de Zothique, comme celui d'un homme pour son royaume, avec L'île des Tortionnaires et son roi condamné à observer sa cité dévorée par le mal de La Mort Argentée.
La parenté avec l'œuvre de Lovecraft est ici plus qu'évidente : elle transparaît dans chaque pore des habitants de Zothique qui arpente ce monde sénile attendant la mort, et à bien des égards, Ashton Smith se positionne comme un précurseur de la dark fantasy avec son récit. On y retrouve cette même passion pour la désolation humaine, le même soin à construire des atmosphères uniques en leur genre, et bien évidemment des univers en proie à une chute sans fin. Mais au-delà de l'horreur cosmique, Ashton Smith arpente les contrées de la fantasy, comme Abraham Merritt et ses Habitants du Mirage.
Zothique est un immanquable pour quiconque désire arpenter les terres convalescentes d'un monde en ruines, et il vous fera découvrir la riche plume d'un des grands noms du Lovecraft Club !