Ce morceau est caractéristique de la musique de Charles Ives, plusieurs tonalités en une et une profonde nostalgie propre à l'Amérique de cette époque, pétri de transcendantalisme. Le sujet du morceau ne trompe pas : il symbolise la conscience humaine qui, par éclair, s'interroge, subodore, sans trouver de grandes réponses au mystère.
Le mystère du monde a pour motif un petit ensemble de violons, d'une forme classique, très musique de chambre : notes étirées, planantes, infiniment tristes et mystérieuses. Un autre ensemble composé d'une trompette soliste et de flûtes s'intercale par dessus ce motif constamment répété de manière assonante. D'abord la trompette, qui interroge. Et les flûtes qui répondent de manière inaudibles et sans ordres. La trompette pose toujours la même question, toujours le même thème. Et à la fin, lors de son dernier phrasé, personne ne lui répond : c'est la question sans réponse.
Morceau métaphysique s'il en est, d'une beauté infini, il est aussi très original par sa structure : l'utilisation de deux tonalités, sans aucun rapport est d'une modernité rare pour l'époque. La structure orchestrale également : intimiste, formation classique avec l'apparition incongrue d'une trompette. Ives est un compositeur américain dans une époque charnière. Pétri de musique classique, admirateur de Beethoven, influencé par le classicisme européen mais aussi par les musiques folkloriques et militaires américaines, il propose ici l'oeuvre qui caractérise le plus son style. Réinventant une musique typiquement américaine, issue des théories artistiques de l'époque, apportant ici une composante fondamentale à la musique et à ce que sera la musique moderne.
On ne peut qu'être admiratif pour ce compositeur intermittent, à la fois brillant assureur et à ses heures perdues musicien et pianiste accompli. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce thème semble familier : leitmotiv récurrents dans plusieurs films récents (La Ligne Rouge, Cours Lola, Cours, Belle du Seigneur), apparaissant bien souvent lors de questionnement métaphysique, appuyant une introspection contemplative, il invente ce qui sera la musique de cinéma. Rien d'étonnant de retrouver ce genre de composition dans les grandes heures hollywoodiennes, dans le style des compositeurs les plus reconnus comme Ennio Moriconne ou John Williams dans Rencontre avec le Troisième type, par exemple, à qui il me fait penser. The Unanswered Question est exactement cela : l'entrée dans la modernité, dans le fond et la forme. Et c'est magnifique.