Critique de Beds Are Burning par peppinacoop
Déjà c'est pour leur look ,j'aime tout ce qui est déjanté et bien sûr le style de leur musique
Par
le 10 nov. 2014
Il y a quelques jours, en allumant l’autoradio, j’ai réentendu ce hit. J’ai monté le son et j’ai pensé : s’il y avait urgence en 1987, que devrions-nous dire en 2022 ?
Je me suis revue aller un soir tard regarder un reportage à la télé chez ma meilleure amie de lycée – je n’avais pas la télé, et je ne l’ai plus. Juste la lampe du salon allumée, le son pas trop fort pour ne pas réveiller les parents. Et ces antipodistes exotiques et enthousiasmants sur l’écran, dans des paysages qui nous faisaient rêver.
Encore ados, nous avions fondu devant le batteur, Rob Hirst, qui tenait dans ses mains un bébé wallaby ; jeunes adultes, nous commencions à peine à être sensibles aux problèmes d’environnement, d’espèces en danger ou de prolifération d’animaux allogènes, là-bas puis ici. Quant aux déboires des aborigènes…
Dès que l’on connaît un peu mieux l’histoire de la colonisation de l’Australie, le pays fait moins rêver…
Les aborigènes australiens forment la plus ancienne civilisation continue au monde, avec une histoire qui couvre plus de 60 000 ans. Les traditions orales de plusieurs groupes évoquent un déluge qui pourrait être le souvenir, transmis de manière ininterrompue de génération en génération, de la montée du niveau de la mer post-glaciation, il y a jusqu'à 18 000 ans (récemment confirmé par l’archéologie).
Lorsque les colons européens débarquent en 1788, des centaines de nations, de clans et de groupes linguistiques habitent les territoires, et leur diversité est aussi grande que le continent lui-même. La population autochtone est alors d'environ 400 000 individus, en 1911 ils ne seront plus que 31 000. En 1967, le premier ministre organise un référendum pour inclure les aborigènes dans le recensement national, leur permettant enfin d'accéder à la citoyenneté australienne, quand avant cela ils étaient classés comme "élément de la faune et de la flore" !
Souvent abusivement présentés par leurs colonisateurs comme de simples chasseurs-cueilleurs nomades n’ayant, de ce fait, ni attachement au sol ni droits sur leur ’homeland’, ils ont de plus subi de nombreuses exactions et spoliations.
Le pire scandale est celui des générations volées.
Un rapport de 1997 révèle qu’environ 100 000 enfants, la plupart métis, ont été enlevés à leurs familles et placés dans des institutions ou familles d'adoption, ce pendant un siècle (jusqu’en 1969), où ils se virent souvent interdits de pratiquer leur langue, l'idée étant de les couper définitivement de leurs racines culturelles aborigènes et qu’ils disparaissent – exactement comme pour les amérindiens…
Si des progrès significatifs ont été accomplis récemment pour les taux de mortalité infantile, la scolarisation en maternelle et le taux de réussite au baccalauréat, il y a à l'inverse un échec relatif pour le taux de scolarisation, le niveau de lecture et de calcul, le taux de chômage et l'espérance de vie.
Restent également les destructions de sites sacrés par des compagnies minières, les fléaux de l'alcool et de l’acculturation, et un changement climatique qui nous concerne tous.
Car cette histoire est avant tout une histoire dans laquelle la terre, les éléments, la nature tiennent les premiers rôles. Tout est lié, les forêts pluviales sont liées aux fleuves qui sont liés à l’océan et aux récifs. Tout est interconnecté, et les natifs le savent depuis des milliers d’années.
L’eau et le feu
Pas surprenant que Peter Garrett, le grand chanteur, se soit lancé en politique (son départ ayant entraîné la cessation provisoire du groupe), car, fervent écologiste et anti-nucléaire, il a toujours milité à gauche.
En 2005, il est devenu, pour le parti travailliste, chargé de la réconciliation et de la culture.
À la suite des élections législatives remportées par le leader du parti Kevin Rudd, il est nommé en 2007 ministre de l'environnement.
Mais le feu est plutôt son élément que l’eau, comme une malédiction ; sa mère est morte dans un incendie alors qu’il était tout jeune, et voici ce qu’il a dénoncé lors de son mandat :
Le gouvernement Rudd a répondu à la crise économique de 2008 par un programme de soutien de la croissance de la demande. En 2010, la mauvaise gestion de l'argent injecté par le gouvernement dans l'isolation des toitures d'habitations amène à des feux dans des maisons et à une série d'accidents mortels parmi des ouvriers.
Alors qu'il avait écrit quatre fois pour indiquer ses inquiétudes avant les sinistres, Peter Garrett a été rétrogradé par Rudd…
Il devient ministre de l'éducation en 2010 dans le second gouvernement de Julia Gillard. Mais après qu’elle soit remplacée par Kevin Rudd, il annonce en juin 2013 abandonner son poste de ministre et ne pas se représenter.
Accusés cycliquement par les puristes de s’approprier un combat qui devrait être mené par les aborigènes eux-mêmes (ce qu’ils admettent parfaitement), les musiciens reversent souvent leurs royalties aux communautés, et ils se sont laissé convaincre que leur large audience était un atout pour mobiliser / informer la population blanche et citadine…
Midnight Oil a d’abord enregistré "The Dead Heart" à la demande des organisateurs de la cérémonie au cours de laquelle Uluru (Ayers Rock) a été restitué à ses gardiens indigènes en 1985. A la suite de quoi, il y a 35 ans, le groupe le plus célèbre d’Australie est parti en tournée dans le bush, l’outback (l’arrière pays), auprès des communautés les plus reculées, avec le plus connu des groupes aborigènes, The Warumpi Band ; une tournée intitulée « The Blackfella/Whitefella Tour », du titre de cette chanson écrite par Neil Murray et George Rrurrambu à propos des problèmes de racisme, et qui encourage l’harmonie et la coopération de tous les êtres humains, quelle que soit leur couleur de peau.
Un documentaire d’une trentaine de minutes a été produit en 1987. J’ai fouillé les profondeurs de YouTube un temps certain afin de le retrouver :
https://www.youtube.com/watch?v=zxUnpyWZ7AI
La qualité tant du son que de l’image n’est pas optimale, mais malgré l’absence de sous-titres, cela reste compréhensible. Certains moments sont assez délirants (un joueur de didgeridoo bien particulier), et du tout émane une grande humanité. Musicalement, ça tient relativement bien la route (par exemple le passage de relais entre les 2 batteurs).
"It belongs to them, let's give it back"
C’est à l’issue de cette tournée que fut composé le titre "Beds are burning", quand nos amis blancs ont vraiment pris conscience dans ces « réserves » du sérieux des problèmes de santé et de niveau de vie.
Cet enregistrement lors d’un concert au stade d’Ellis Park à Johannesburg (Afrique du Sud), en octobre 1994, donne une idée de leur succès, et de leurs charisme et générosité intrinsèques :
https://www.youtube.com/watch?v=kYqkLQYk9Eo
Ces trois chansons ont gagné le statut d’hymnes car les causes qu’elles défendent sont toujours d’actualité, et les hymnes se s’usent pas si l’on s’en sert tant que la victoire n’a pas été acquise… les jeunes générations les reprennent en chœur, mais seront-elles capables de concilier "the best of both worlds" là où nous constatons notre désespérant échec, malgré l’urgence de plus en plus vitale, et malgré la désagréable impression que l'on peut avoir que le monde continue à danser ?
« It’s too late to say wait and see » comme le chante en 2019 Neil Murray dans “Cry my Darling” – ballade “folk” accompagnée d’images de la rivière asséchée et de kangourous morts (expliquer les noms de lieux et de personnes serait un long cours de géographie aussie…)
https://www.youtube.com/watch?v=vdw3EcGHfLM
Là, j’avoue que j’étais complètement passée à côté, mais Midnight Oil a ressorti un album en 2020, qui comporte sept chansons, toutes réalisées en collaboration avec plusieurs artistes aborigènes. Makarrata est un mot yolngu décrivant un processus de paix et de justice, visant dans ce cas d'une part à établir des accords entre les gouvernements et les peuples premiers, et d'autre part à rechercher la vérité sur l'histoire du pays.
Entre l’enregistrement, commencé en 2016, et la sortie de l’album, deux musiciens sont morts, le bassiste Bones Hillman, et Gurrumul Yunupingu, ce qui explique la mention respectueuse en préambule pour avertir les aborigènes qu’il y a voix et image de décédés :
https://www.youtube.com/watch?v=bONK00OyA74
Créée
le 23 mai 2022
Modifiée
le 23 mai 2022
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