Diffusée à la télévision britannique sur Channel 4, cette série originale n’est accessible pour l’instant en France que sur une nouvelle plateforme nommée BrutX, spécialisée dans les documentaires sensationnalistes… Et c’est le meilleur produit d’appel qui soit (le reste du catalogue étant d’un niveau inférieur), déjà récompensé début septembre par le jury étudiant du panorama international du festival ‘Séries Mania’.


La créatrice, Nida Manzoor, souhaitait que la série soit « une lettre d’amour anarchique à la sororité et à l’inclusivité », et le pari est gagné.

Les morceaux originaux, des hymnes corrosifs ‘tout droit inspiré des évènements de ma vie’, sont composés par sa sœur Shez (plus punk qu’elle qui est plus folk) : https://open.spotify.com/album/28dwAy8V1FaZFC0tryUPSI
« La série ressemble à cette musique qui ne se prend pas au sérieux mais n’en est pas moins subversive, bruyante et porteuse de messages forts. C’est aussi un style très physique, qui prend à contrepied l’image de femmes musulmanes qui n’auraient pas la maîtrise de leur propre corps. » (Télérama du 15/9/21)


Divulgâchons un peu, et disons que tout à commencé à la mosquée, quand a retenti pendant la prière une sonnerie de portable : Slipknot… Puis que ça a rebondi quand le besoin d’une lead guitar s’est fait sentir – et puis les groupes de 4 membres réussissent mieux ;-)


Mais présentons donc les personnages :


Amina, celle que l’on suit le plus, souvent en narration subjective avec ses inquiétudes et ses fantasmes, sous forme de surprenants clips (de blues), parodies (de film noir), etc.
Elle est d’origine pakistanaise, étudiante en microbiologie, a une "meilleure amie" nommée Noor, et des parents bien plus ouverts et modernes qu’elle : “Ce ne sont pas les parents [de la communauté musulmane] qu’on a l’habitude de voir à l’écran – ils sont aimants, progressistes et aussi irritants que les autres.
Elle ne cherche pas un groupe avec qui jouer, mais « un homme au poil brillant avec des sourcils qui inspirent confiance », et qui ne lui dise pas que la musique est haram (pas approprié), mais se produire devant un public lui provoque systématiquement des vomissements… pour la déstresser, on lui dira que « les fluides corporels sont bien vus dans le punk » !
Sa chambre a encore un décor enfantin de peluches et de tons pastel qui ne correspond pas à son moi profond – c’est elle qui fera véritablement son coming of age. Et avec elle, sortir du placard prend un autre sens !


Saira, bouchère halal, tatouée, cheveux courts, jeans troués et chemises à carreaux, la chanteuse mystérieuse et féroce qui incarne l’énergie punk et passe ses nerfs sur sa guitare ou son hachoir. Elle est non officiellement en couple avec Abdullah, et en froid avec sa famille.


Ayesha, la batteuse lesbienne et misanthrope, qui jongle entre la musique et son job de chauffeur Uber. Elle a un frère, Ahsan (le poil brillant et les sourcils……..).
Ils sont d’origine irakienne.


Bisma, bassiste mariée à Wassim, poète a(ni)mateur, et mère d’Imani (laquelle a beaucoup d’humour, de bon sens et s’avère déjà féministe). Elle fait tout pour que le groupe ne parte pas en vrille. Elle est l’auteure d’un comics sanglant intitulé "The Killing Period" - "Les règles de la mort", traduit par "Le vagin de l’apocalypse".


Momtaz, manageuse en niqab (il faut la voir fumer à travers !) et vendeuse de lingerie, qui galère à faire décoller la carrière du groupe. Elle recrutera une influenceuse, et…
C’est sa grand-mère qui est plutôt épatante.


Des dialogues savoureux, des situations comiques, un certain suspense, des moments émouvants, et un refus revigorant de tout manichéisme tout en se moquant des préjugés : mais que peuvent bien cacher les foulards ?


« Il faut savoir assumer sa folie avant qu’elle nous rattrape »


« On fait de la musique pour être représentées, être entendues. »
S’exprimer, chercher moins la célébrité qu’un moyen de « crier notre vérité avant que des connards la déforment ». « Nous, par nous, pour nous » pourrait être leur slogan, et « Booyah » leur cri de joie (pas de guerre).
Répétitions, auditions, recherche de concerts et de salles…
La séquence du test avec le ‘public de merde’ est hilarante – mais Amina réussit à jouer un solo sans se vider ou se figer !


« Personne ne tuera ma sœur dans un crime d’honneur sauf moi »


Leurs interrogations ne sont pas toutes spécifiques à celles de leur communauté mais se rapprochent de celles de toutes les jeunes femmes actuelles, leur cœur de cible. Elles refusent d’être soumises au diktat de ce que les autres peuvent penser, veulent être perçues comme des « femmes musulmanes sérieuses de la planète Terre » et non des « bad girls de l’Islam » car elles sont croyantes. Ce qui ne doit/devrait pas être incompatible avec leur look (il faut voir Ayesha avec un casque de vélo par dessus son foulard), leur vocabulaire, leur diversité…


Un tiers de spleen, deux tiers de crise identitaire


Si on leur demande « d’où es-tu ? », la réponse sera un quartier multiculturel de Londres comme Whitechapel ou Shepherd’s Bush.
« C’est pas parce que quelqu’un plante un drapeau quelque part qu’il est chez lui », dira l’une d’elles, des propos à plus d’un double sens… Elles sont "visiblement" issues, seconde ou troisième génération au moins, des anciennes colonies "historiques" de l’Empire, sud-asiatiques, africaines ou antillaises.
Amina n’a d’ailleurs jamais mis les pieds à la campagne ! Difficile de lui faire lâcher prise au milieu d’un champ.


« Une femme ne devrait pas faire passer son travail ou le groupe avant son mec ? »


Entre 20 et 30 ans, elles sont d’une génération inspirée par Harry Potter (cf titre "Voldemort sous mon voile") et vivent pleinement au temps d’Internet et des applis de rencontres – en vue de trouver un bon mari.
« - Il cherche une femme qui serait à la fois une épouse et une mère, plutôt louche, non ?
- Mais non, voyons, une épouse pour lui et une mère pour leurs futurs enfants !
»


Seule Saira pense que « Internet est un cimetière géant de la créativité et de la vérité » et que recruter une influenceuse pour faire la promo du groupe est « du snobisme très bourge pour une marxiste » parce que… son site est le plus lu ou celui qui reçoit le plus de clics ?


Une des morales est que les actes ont des conséquences. Faire le buzz, oui, mais pas un buzz négatif !
Une forte sororité, de la franchise, une confiance – mutuelle et en soi - mise à rude épreuve, de l’aide, des (bons) conseils, de l’amitié, du soutien, une grosse louche de girlpower, disputes et désaccords ne durent jamais (trop) longtemps.


Après une saison de 6 épisodes totalisant moins de 3 heures, on voit mal comment il pourrait y en avoir une seconde sans tomber dans la banalité. Personnellement, j’ai l’impression d’avoir partagé ces moments de leur vie avec ces filles et qu’elles me sont devenues proches - oui, j’aimerais encore avoir de telles amies. Je préfère donc imaginer la suite de leur aventure commune, et d’au moins deux romances, à ma façon.


Une des découvertes dans Lady Parts est aussi le poème « Speak » (de 1941) et son poète pakistanais Faiz Ahmed Faiz, apparemment très connu et étudié en Grande-Bretagne et qui, je pense, va devenir aussi viral que la série elle-même. Ci-dessous la traduction de l’ourdou vers l’anglais :


Speak, your lips are free.
Speak, it is your own tongue.
Speak, it is your own body.
Speak, your life is still yours.


See how in the blacksmith's shop
The flame burns wild, the iron glows red;
The locks open their jaws,
And every chain begins to break.


Speak, this brief hour is long enough
Before the death of body and tongue:
Speak, 'cause the truth is not dead yet,
Speak, speak, whatever you must speak.

DizzyLizzy
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le 26 oct. 2021

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