Le 21 avril, c'est la date traditionnelle de la naissance de Rome, mais cette année, nous fêtons Pâques, la plus grande fête de la Chrétienté. Non pas seulement, comme à Noël, le mystère intime d’un Dieu qui s’incarne et s’abaisse jusqu’à l’humain mais d’un Dieu capable de triompher de la Mort elle-même, qui semblait toute puissante depuis la nuit des temps. Mais nous ne sommes pas ici pour faire de la métaphysique ou de la théologie, même si le contexte s’y prête. Nous sommes ici pour reprendre l’exploration de nos chères cantates du divin Jean-Sébastien, nous réjouissant par avance que, comme Noël ou la Pentecôte, nous ayons trois jours successifs de célébrations : deux cantates demain et trois mardi mais, pour commencer, trois aujourd’hui.
Et trois cantates exceptionnelles, très différentes entre elles et pas seulement toutes trois de très grande qualité (ce qui, il faut le dire, est toujours un peu pléonastique quand on parle d’œuvres de Bach). La plus ancienne est l’une des premières du Cantor, à une époque où il est encore loin de deviner ce que seront les 27 dernières années de sa vie dans ce poste à Leipzig. Nous sommes encore en 1708, à Mühlhäusen, très exactement le 8 avril. Bach vient d’avoir 23 ans et est en poste depuis moins d’un an. Il fait représenter la BWV 4, « Christ lag in Todesbanden » (Christ gisait dans les liens de la mort), une splendide cantate de choral sur l’hymne de Pâques, qu’il reprit dès son arrivée à Leipzig, le dimanche de Pâques de l’année 1724, le 9 avril, et encore l’année suivante, le 1er avril 1725. C’est sans doute alors qu’il ajouta les cuivres à la partition : un cornet et trois trombones. Elle présente la particularité de pouvoir être chantée en faisant appel à des solistes (c’est ce que font Helmuth Rilling ou Kurt Thomas) ou seulement au chœur, (comme le font mes très chers Hans-Joachim Rotzsch et Fritz Werner). L’admirable Karl Richter, pourtant peu homme de demi-mesures, choisit le chœur à l’exception du magnifique air de basse « Hier ist das rechte Osterlamm » (Voici le véritable agneau de Pâques). (C’est lui que nous entendrons par Dietrich Fischer-Dieskau).
La seconde de nos cantates date du 21 avril 1715. Bach est à Weimar, ville sublime ; il vient d’avoir trente ans et fait jouer une cantate qu’il tiendra toute sa vie pour l’une de ses plus grandes réussites, la BWV 31, « Der Himmel lacht, die Erde jubiliert » (Le Ciel se réjouit, la terre jubile). Il la reprendra plusieurs fois à Leipzig, en particulier en 1731, date de la version actuelle, quand il établira un florilège de ses meilleures œuvres. Werner, Rotzsch et bien sûr Rilling sont au rendez-vous. Marcel Couraud en avait jadis gravé une très belle version.
La dernière de nos cantates est improprement appelée (par Bach lui-même) « Oratorio de Pâques » mais c’est bel et bien une cantate (de choral), la BWV 249, « Kommt, eilet und laufet » (Venez, hâtez-vous et courez) du 1er avril 1725. C’est l’adaptation d’une cantate profane composée peu de temps auparavant, dont la musique est perdue, mais nous savons depuis longtemps (nous en avons déjà parlé) que le maître n’hésitait nullement à se servir pour les sujets sacrés des mêmes états affectifs que pour les sujets profanes : la tristesse ou, surtout ici, la joie, sont bien un seul et même sentiment quel que soit son terrain d’élection. L’actuelle version, généralement jouée, est sans doute assez tardive et date des années 1740. Même si l’évolution du style a beaucoup moins d’importance que dans le cas de Mozart ou de Beethoven, on a donc aujourd’hui le choix entre des œuvres se déployant sur une très grande partie de la vie créatrice de Bach.
Si nous étions en Russie (ou en terre orthodoxe) nous nous précipiterions spontanément sur n’importe quel passant dans la rue pour l’embrasser aux cris de « Christ est ressuscité ». Permettez-moi, avec moins d’exubérance, sans doute, mais pas moins de sincérité, de vous souhaiter de Très joyeuses Pâques !
La version de Karl Richter : https://www.youtube.com/watch?v=HUDQWBkj9t4
La BWV 31 commence à 35:30 : https://www.youtube.com/watch?v=VpaYzbm2RWc
La BWV 249 est au début du disque (auquel il faudra revenir dans 40 jours) https://www.youtube.com/watch?v=5OrHZPCRrSc