La technique du ricochet ou comment jeter le bébé avec l'eau du bain
Je ne savais pas que Lesieur faisait dans la soupe ! Mais pas d'erreur, le groupe soutient l'Unicef à l'occasion de la sortie de cet effarant single dont les profits des ventes devraient aller à l'Unicef pour ses opérations liées aux difficultés des pays de la Corne de l'Afrique touchés cette année par la sécheresse.
Après tout pourquoi pas. Le problème est qu'on peut sérieusement douter qu'il s'agisse uniquement d'une action caritative, d'abord parce qu'on voit bien qu'il s'agit d'une campagne de communication d'une entreprise agro-alimentaire. Mais surtout parce qu'il s'agit avant tout d'une campagne de promotion d'artistes qui ont manifestement besoin de se lancer ou de se relancer. Il n'y a qu'à voir le casting. Pour la deuxième catégorie, je citerais sans être exhaustif Arielle Dombasle, Hélène Ségara, Ophélie Winter, Gérard Lenorman, Patrick Fiori, Dave ou encore Philippe Lavil ! On voit bien qu'il s'agit d'une opération avant tout commerciale, car une compilation comprenant une chanson de chaque artiste est sortie peu de temps après le lancement du single.
Bref, la fin justifie les moyens : pour vendre de l'huile ou des disques, on se fait une petite chanson pour défendre la cause des petits Africains qui n'ont plus d'eau.
Du coup, on comprend mieux le titre du single, l'opération ricochet comprenant différentes étapes :
- ETAPE 1 (ON CHOISIT SON CAILLOU, bien plat, et sans aspérité) : on rassemble des chanteurs à lancer ou relancer.
- ETAPE 2 (on cale bien le caillou dans la main, et ON SE PREPARE AU LANCER) : les artistes vont chanter sur un texte qui fera pleurer dans les chaumières et attirera la sympathie sur eux car quand même, ils sont bien ces chanteurs qui se mobilisent pour une bonne cause.
- ETAPE 3 (quand la mer est bien étale, ON LANCE LE CAILLOU) : on matraque ce single et on lui associe le nom d'une marque bien connue.
- ETAPE 4 (c'est le PREMIER RICOCHET) : c'est vrai, les gens vont donner de la thune à l'Unicef (très bien).
- ETAPE 5 (DEUXIEME RICOCHET) : le groupe alimentaire améliore son image et tire profit de la campagne.
- ETAPE 6 (TROISIEME RICOCHET) : on récupère des profits avec la sortie d'une compilation comprenant le single et une chanson de chaque artiste.
- ETAPE 7 (QUATRIEME RICOCHET, plus hésitant) : la vente des albums de certains artistes sera relancée ce qui accroîtra encore les revenus desdits artistes et de leur maison de disque.
- ETAPE 8 (LE CAILLOU TOMBE A L'EAU) : on a craché de la thune, une petite partie est arrivée à l'Unicef, tout le monde est content, y a eu plein de ricochets, mais là, c'est fini, on a complètement oublié l'Afrique.
Pour le reste, il faut le dire, sur le plan du texte, la chanson est nulle à chier. Même si le thème n'a rien à voir, ces tristes ricochets ne peuvent que faire écho à ceux de Brassens, plus modestes dans leur propos, mais infiniment plus réussis. Tout le monde ne rend pas hommage à l'Apollinaire...
Le texte, en effet, est d'une pauvreté navrante, c'est extrêmement mal écrit et d'une stupidité effarante. Je ne vais pas tout citer pour ne pas trop accabler les auteurs de ces paroles (en plus, il s'y sont mis à trois !), juste le refrain :
« Je veux pas l'aumône
Je veux pas déranger
Mais juste un peu d'eau
Pour faire des ricochets »
Là, ils se sont dit, pas possible de dire que le gamin veut de l'eau juste pour boire, c'est trop banal, alors on va trouver une nouvelle idée géniale, oui, il ne veut pas de l'eau pour boire, mais pour jouer ! Alors oui, quand on a faim, quand on a soif, quand la vie est dure, on a plus de mal à jouer et à s'amuser, c'est vrai. Et les enfants, où qu'ils vivent, ne méritent pas qu'ils ne puissent pas jouer. C'est bien vrai, mais évoquer la sécheresse et ses conséquences en affirmant que le gamin veut juste jouer et faire des ricochets, excusez-moi, mais je trouve ça affligeant de niaiserie.
En plus, le p'tit africain, il a soif et sans doute faim, mais il ne veut pas déranger ! En fait, les auteurs veulent à la fois nous faire pleurer (pour qu'on achète le disque et qu'on donne à l'Unicef), et en même temps, faudrait pas que la chanson soit trop dérangeante, faudrait pas qu'elle nous bouscule ou qu'elle nous fasse trop culpabiliser. Non, on met une musique sympa et on danse dessus, sur les malheurs de l'Afrique, faudrait quand même pas qu'on déprime juste pour ça.
Dans le fond, ils ne disent pas que des conneries, oui, il y a une urgence dans beaucoup de coin d'Afrique, oui on ne peut rester indifférent, oui il faudrait se mobiliser, oui nous occidentaux on prend le pétrole ou l'uranium et on ne se préoccupe pas vraiment de la vie des gens de ces pays, en tout cas on ne fait pas grand-chose. Oui, le constat est assez juste.
Mais un texte ridicule et l'opération commerciale à peine masquée contredisent complètement la sincérité de ces propos qui ne sont là, malheureusement, que pour nous faire acheter des disques.