Epitaph
8.8
Epitaph

Morceau de King Crimson (1970)

Les champipis épisode 4 : Mais pourquoi tu as choisi Epitaph comme pseudo ?

Episode 1 ici : https://www.senscritique.com/album/sleep_dirt/critique/267034691

Episode 2 ici : https://www.senscritique.com/livre/Le_Club_des_hachichins/critique/278869060

Episode 3 ici : https://www.senscritique.com/album/Legend_of_the_Black_Shawarma/critique/283280317

Suite épisode 5 ici : https://www.senscritique.com/album/the_xenon_codex/critique/297223817

Les BB étaient là, tranquillou dans la plus vaste pièce de la maison. Ils avaient pété la cloison qui reliait la cuisine à la salle à manger et du coup même embouteillée de bouquins et de vinyles l’endroit était vaste, cosy malgré tout. Contre la cloison du fond faisant face à l’ancien mur flanqué d’une cheminée ouverte, un canapé cuir élimé trois places un chouïa craspec, trois poufs moelleux et profonds, une table basse bois massive et son tiroir aux fragrances alcoolisés et partout collées aux murs droites ou en travers des affiches de concerts ou de zicos plutôt underground d’Hendrix à Gentle Giant en passant évidemment par King Crimson. Pour couronner la pièce en taille XXL éclaboussée de tâches vineuses et légèrement de biais le « Z » trônait au-dessus du canap !

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https://9emeart.tumblr.com/post/109353939965/frank-zappa-stink-foot-sol%C3%A9

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Frank Zappa dessiné par Solé. Un dessin fabuleux pour vanter le titre « Stink foot » et l’album fabuleux « L’apostrophe ». C’était le cas de le dire le pied ! Le pied du Z bien en avant puant tant et plus, suintant, dégoulinant et la tronche massive du grand musicien fou tout en haut vapée à l’oxygène pur pour échapper à la pestilence. Panard schlingage...quel talent ce Solé ! Avant de s’asseoir Phil se perdit une fois de plus dans la contemplation de ce dessin fabuleux où comment faire de l’art avec des pieds puants et du Rock’n Roll, du « prog » auraient hurlé les frangins en cœur !

Mush lança :

- Assieds toi man y faut qu’on dégoise !

- Détends toi frérot, un verre Phil ? Ah oui j’sais c’que t’aimes toi, une Izarra, verte couleur Absinthe, j’ai réussi à en dégotter une boutanche, la plus forte, avec ce goût bizarre que t’aime !

- Et comment mon poteau 48° derrière la cravate, c’est poison mais c’est bon ! Merci

- Pour nous comme d’hab un petit verre de blanc !

Les bouteilles tintèrent sur les verres et pendant qu’Epi servait, Mush ralluma un demi bedo qui trainait au fond d’un cendrier à moitié plein. Il faisait bon dans le foyer et une musique plaintive qui paraissait hésitante comme brisée sortait des enceintes. Phil ne questionnait plus Epi ou Mush quant aux sons bizarro qui berçait cette casbah et se laissait aller tout au fond de son pouf en tétant sa liqueur.

- A propos les gars j’ai une question ! Maint’nant je connais l’origine du pseudo Mushroom mais Epitaph...Pourquoi Epitaph ?

A cette question somme toute banale Phil vit les frères pétards blêmirent, ils changèrent carrément de couleur comme ça, comme on vide un verre de liqueur cul sec, pour passer au blanc farineux. Epi posa son verre de Gewurz et Mush renversa un peu de liquide sur le tapis qui en avait vu d’autres. L’ambiance conviviale se tendit, c’était comme si un froid dur et cassant était entré sans n’annoncer, avec brutalité. Il s’insinuait entre la peau et les vêtements creusant vers le cœur. Epi branla mollement du chef et dit :

- On lui raconte Mush ? on zidi ?

- Ecoute, dit Mush t’es un bon copain maintenant môssieur Philibert, un peu flanby certes mais un gars solide. Un jour tu m’as confié tes problèmes avec ton dabe. J’sais ! Tu t’en souviens plus t’étais bourré. Alors à notre tour, le problème c’est que pour raconter ça je crois que je préfèrerais être d’équerre, fin bourré, éthyliquement irresponsable.

Nous étions cinq Maman, Epi, notre petite sœur qui avait cinq ans de moins que moi et puis le père, s’cuse mais j’peux pas dire papa. J’sais qu’tu comprends Phil.

Lili était un petit Soleil même et surtout si on avait des problèmes il suffisait de la regarder pour retrouver le sourire. Quand tu vois un être s’éveiller, ouvrir de grands yeux ronds sur le monde, s’émerveiller comme toi tu le faisais au même âge alors les soucis fondent comme de la glace à la vanille dans un four à 200°. Et puis son rire, le rire d’une enfant qu’on avait, tu penses bien commencé à initier à la bonne musique nous déridait instantanément et on riait avec elle. Elle était belle, épanouie, vive, une petite perle. Notre père était anesthésiste et maman infirmière. Elle tenait à garder son travail et une certaine indépendance. Oh nous savions bien qu’il y avait des problèmes entre eux. Nous nous doutions aussi qu’il se droguait et vu son statut il n’avait pas de mal à se procurer morphine ou barbiturique et autres produits en « ine ». C’était un junkie...classieux...mais un junkie. Nous vivions dans une grande maison à l’époque mais malgré cela nous entendions après le coucher les disputes, parfois des cris et puis le père était taciturne, gris, froid et morne. Quelque chose était cassé en lui c’est sûr mais de là...

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Phil vit que les yeux de Mush était embué quant à Epi il était renversé sur le canap la tête tordue en arrière et paraissait ailleurs loin...

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L’homme se tenait debout bien droit, un peu comme un I isolé au beau milieu d'une phrase, un oubli, une erreur non rectifiée d'un écrivain peu scrupuleux. Les platanes au long des murs d'enceinte de la vaste cour semblaient des promeneurs égarés dont le feuillage à la manière d'un couvre-chef insolite captait les rayons du Soleil mourant. De place en place des flaques de feuilles rouges et jaunes parfois mordorées s'étalaient, parsemaient le sol confirmant ainsi l'agonie d'une saison. Les quelques personnes présentes fixaient avec sérieux et gravité ce I qui conservait cet espèce de sourire énigmatique et fat amusant pour les uns, déplaisant voire répugnant pour la plupart. Bien sur l’homme ne quittait pas des yeux cette belle mécanique plantée en face de lui qui le dominait et l'écrasait de son ombre. Il inspira calmement avec une amplitude calculée, raisonnée. L'air était frais et empreint d'un parfum balsamique évoquant celui d'un baume protecteur. Quand il déplaçait légèrement la tête sur le côté un rayon de Soleil venait baigner son visage à la façon d'un projecteur de cinéma.

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Mush tendit le pétard à Phil et Epi sortit de sa rêverie ou bien était ce un cauchemar et poursuivit. Il faisait toujours froid, un froid de fatalité.

- Maman était gentille et s’occupait bien de nous, nous emmenant à l’école dès qu’elle le pouvait, s’inquiétant de notre santé, de nos repas, de la petite qui avait alors cinq ans. Lui il n’était quasiment jamais là sauf le soir aux repas pour tirer sa tronche en biais et ce regard inquisiteur, malaisant mais aussi paumé et vitreux, l’œil de la drogue. Je ne dormais pas bien ce soir-là. Ils s’étaient encore disputés pendant le dîner. Je crois que maman voulait le quitter et partir avec nous et ça il ne le supportait pas. Vers 11h J’avais entendu un choc, oui maintenant que j’y repense encore et encore c’est clair, un choc sourd dans la chambre des parents mais éloigné, il résonnera toujours en moi. Pourquoi ne me suis-je pas levé alors pour aller voir ? Je m’en voudrai toute ma vie.

- Comment aurais-tu pu te douter, dit Mush, tu n’es pas responsable frérot, ce n’est pas ta faute, putain !

- Je sais mais j’aurais dû me douter qu’il était mauvais, qu’il était fou et capable de tout, que la drogue lui bousillait la cafetière et donc bien malgré moi je n’y pris pas garde, pas assez. Toutefois cette nuit-là après ce repas chaotique, j’avais une boule sur le ventre, je ne pouvais pas dormir, toi Mush tu essayais de ne pas y penser, tu disais toujours que ça allait passer et tu jouais avec Lili. D’ailleurs c’est toi qui l’avais couchée car maman ne se sentait pas bien. Prémice encore des prémices. PUTAIN que je le hais ! Alors à peu près une heure plus tard alors que j’essayais vainement de sommeiller j’entendis un bruit dans la maison comme une reptation, un glissement léger synonyme d’un déplacement furtif. Je me levai, ouvrai la porte de ma turne, me glissai dans le couloir et vis que la porte de la chambre de Lili était entre ouverte. Une lueur filtrait comme celle d’une bougie ou d’une lampe de poche. Je n’oublierai jamais cette vision quand je passai ma tête au-delà du chambranle. Il était là debout penché au-dessus du petit lit, avec une frontale collée au front, une seringue vide et suintante dans une main. De la sueur coulait de son front, une sueur malsaine, noire et ses traits étaient tirés, si tendus, comme si sa peau allait se rompre. Et puis ses yeux mauvais, écarquillés, révulsés, emplis de délire et de démence. Il était de l’autre côté passé dans un monde d’où l’on ne revient pas.

- Papa, papa qu’est-ce qui s’passe, que fais-tu ? Papa dis-moi, pourquoi fais-tu cette tête, tu me fais peur papa ! Lili, Lili, LILIIIIIII !

- Dans le petit lit rien ne bougeait je distinguais vaguement à la lueur blafarde de la frontale le corps découvert de ma petite sœur et je vis une petite perle rouge, si petite qui glissait le long de son cou. Alors je compris que quelque chose de grave s’était produit. Je poussais un cri de rage, me ruai sur lui et le culbutait. Il tomba en arrière sur le choc. J’avais quinze ans, j’étais fin mais tout en nerfs, j’étais devenu en quelques secondes un marteau pilon. Le père avait valdingué de l’autre côté de la chambre et semblait étourdi. Je pris alors Lili dans mes bras en la serrant si fort, sortis et fermai la porte à clé. La suite tu la connais Mush tu étais là dans le couloir, blanc comme un linge et tremblant, un enfant apeuré.

Alors de la chambre de notre petite chérie dont je serrais le corps sans vie contre moi, un rire horrible, un rire lent et dur, innommable retentit. Le rire contaminé de celui qui a touché une terre infectée et maudite.

-

Phil péniblement avala sa salive quelque chose s’était glissé derrière son sternum et il avait envie de vomir. Le pétard lui tournait la tête et il sentait qu'il entrait dans un bad trip, very bad trip. Epi vida lentement son verre de blanc, repris sa posture alanguie sa rêverie chauchemardesque et Mush continua :

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Un homme gris au chapeau ridicule lui demanda s'il voulait fumer. Il accepta. Un second tout aussi grisâtre tendit un briquet. Négligemment puis avec désinvolture et grâce, il porta la cigarette à sa bouche, tira une longue bouffée et s'exclama d'une voix forte et claire.

- Aujourd'hui quelqu'un va mourir ! Cela aura-t-il du sens ? Qui peut le dire ?

Alors son rire retentit comme un torrent dévale une pente en rebondissant parmi les rochers s'accentuant ou s'adoucissant au contact du relief. Il fut pris de spasmes, toussa puis comme par magie revint au calme. Personne ne mouftait. Il ferma les yeux, les flashs affluèrent, images de sang, de mort, de détresse, de misère et toutes moulées dans l'indifférence, le mépris et le rejet. Ces images l'avaient conduit ici en cet fin d'après midi : en face de la bascule à Charlot !

Tranquillement il termina sa cigarette tout en fredonnant un vieil air de music-hall et en esquissant de légers pas de danse, jouant avec les volutes de fumée diaphane qui l'entouraient.

Le bourreau s'avança et allongea l’homme sous le couperet. Son sourire insolent ne désarmait pas s'affichant lourdement comme une insulte. Un éclat de lumière faisait briller la lame qui chuta brusquement vers le cou du supplicié.

– La porte était en chêne massif et il n’y avait rien dans la chambre qui put aider cet homme à sortir. Alors nous allâmes enfin Epi alla dans la chambre des parents. Maman était dans le lit la tête pleine de sang. A ses côtés une batte de base ball rouge brillait. Nous sortîmes rapidement et courûmes vers le pavillon d’en face. La suite...Police, médecins notre bonne mère grand et pour lui : la guillotine ! Sur la tombe de maman pas de croix, un seul mot est écrit Epitaph titre du groupe "prog" King Crimson c’est le morceau fétiche du frérot le seul qui apaise sa haine et nos regrets.

SombreLune
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le 17 nov. 2023

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