Je dois remercier la source – aujourd’hui oubliée, mais certainement féminine – qui m’ayant ouvert à Scratch Massive, a permis que j’échoue une nuit, plus tard, porté par la barque numérique de l’algorithme des suggestions musicales, sur Finale de Para One.
J’ai soit dit en passant, regardé la Naissance des Pieuvres d’où a été tirée cette BO : un film sans saveur, froid comme une piscine municipale en novembre, tout entier déterminé à une certaine idée du Festival de Cannes, un film à-côté, manqué, dont le tableau d’une puberté en maillot Speedo® donne à ce film une odeur chlorée, un goût de pédiluve. Je l’ai fait pour vous, vous pouvez donc vivre sans – et bien vivre.
C’était une nuit d’été, fraîche et blanche. J’étais là, tranquille. J’entretenais depuis quelques heures déjà une insomnie délicieuse quand je décidai de m’installer à cheval sur le rebord de la fenêtre de ce grenier, aménagé pourtant pour que j’y dorme. Je ne devais pas porter plus haut que dix-huit ans et quoique j’ai toujours eu l’air jeune, je m’amusais quelque part à me donner des airs d’absorbé, et part là de jeune intellectuel sensible, arrogant. Devant moi un cyprès tout ébouriffé, poussant comme une tumeur, sans discipline, sans gueule. Plus loin, les cyclones des machineries climatiques d’un supermarché, crachaient dans l’air jaune des lampadaires une exhalaison terrible, bruyante, implacable. Entre deux, un portail bleu protège encore seul ce domaine fermé, idyllique, où courent toujours les fantômes heureux de mon enfance. J’étais venu voir l’aube. Elle arriverait, décisive, enflammer les ombres nocturnes, faire bouillir l’air et la terre d’où sort, comme pour l’accueillir, une brume limpide qui, retombant en rosée sur l’herbe encore endormie, s’assoit toujours pour profiter du spectacle. La journée serait chaude, j’irai plus tard à la piscine, j’ouvrirai peut-être un pamplemousse, du jus coulera sur mes doigts et je reprendrai un peu de sève.
Mais il fait encore sombre, et Pleine Lune de Scratch Massive – portrait noir de la nuit noire, sordide presque, humide, obscène – vient de se terminer, et je commence à peine à reprendre mon souffle, à m’arracher finalement à cette atmosphère épaisse, poisseuse, quand éclot au loin, tout au fond des lignes binaires de mon logiciel d’écoute et des ondes électriques de mes écouteurs, les premières notes – timides – de Finale. C’était la première fois que j’entendais cette musique. Elle est entrée soudainement, sans prévenir, a glissé tout au bout de moi. J’étais une boîte vide, résonnante, puis toute pleine d’elle. Finale, mon crâne, et cette nuit infinie subitement majestueuse, brillante, qui scintillait à chaque secousse, symphonique. Nous étions tous les trois, interdépendants, plongés dans un commensalisme délicat, où je pouvais me nourrir de la fraîcheur de l’une, du grandiose de l’autre, où Finale pouvait enfin se faire entendre partout, drapée dans son costume de lune. C’était un satori dont je me souviendrai toute ma vie, et si je meurs un jour sans n’avoir plus rien à léguer, je dirai volontiers cet événement si particulier de ma vie.
Depuis ce son ne m’a jamais quitté. Je l’ai d’ailleurs maintes fois employé comme un philtre, un géniteur de séduction. Je l’ai fait écouter à des filles qui en valaient la peine ou que je voulais pour moi, mais je l’ai toujours partagé avec le soir. Toutes ont semblé apprécier la délicatesse que je faisais pour elle, toutes ont cru à cette exclusivité, et j’ai pu – vainqueur par l’épée – manger les miettes de leur sommeil. En un mot, voilà – pour moi – Finale de Para One.