Fuck U
8.4
Fuck U

Morceau de Archive (2004)

I could creep up beside put a gun in your mouth

J'ai été interpellé par la présence de ce morceau, certes à la 25ème place, dans le sondage SensCritique "Les plus belles chansons de rupture". Ca m'a donné envie de laisser quelques mots au sujet des paroles de cette chanson, que je trouve particulièrement intelligentes.


Comme d'autres j'imagine, mon premier réflexe a été d'imaginer que ces paroles s'adressaient à une ex petite-amie, après une rupture possiblement très mal digérée. Je dois dire que c'est particulièrement jouissif de vivre cette chanson de ce point de vue, et le contexte dans lequel je l'ai découverte n'a fait qu'amplifier cette jouissance. Parce que des fois, bordel, ça fait du bien de déverser sa haine, aussi inutile soit-elle.


Et si on peut dire une chose sur ce morceau, c'est que la haine déversée y est exceptionnelle. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser présager, le texte n'est pas un déversement d'insulte, et d'ailleurs à part "fuck you", "shit" et "scum" l'ensemble est étonnement poli. Et c'en est toute la force. L'instrumentalisation est sobre et la guitare très sombre, balançant un son aussi pessimiste que le texte, et renforçant fortement la violence des propos.
L'écriture est violente, cinglante. Chaque phrase est empreinte d'un mépris sans nom. Un mépris profond, irréversible, mortifère. Un mépris d'autant plus prononcé que le chant suit une logique rythmique, et est récité calmement avec une intensité grandissante. Chaque phrase est une punchline remplie de violence. Et la plupart sont jouissives.
Imagine toi chanter cela à la personne qui te fait du mal, tu en sortiras grandi. Ou pas. Mais tu auras pris ton pied pendant 5 minutes.


Cependant, lorsque l'on prête plus attention aux paroles, on repère deux éléments qui donnent une toute autre allure au texte. Premièrement, celle-ci : "Though we won’t ever meet I remember your name" (Même si on ne se rencontrera jamais, je me souviens de ton nom).
Cette phrase suggère que le narrateur n'a jamais rencontré son interlocuteur. Dès lors, la théorie de l'ex fait moins sens.


L'orientation politique d'Archive laisse penser que le texte s'adresse à George W. Bush. Le contexte de sortie de cette track, la fin du premier mandat du président, renforce la théorie. Si l'on suit la chanson sous cet angle, d'autres paroles s'éclairent alors. "The cracks in your smile are beginning to show" (Les failles dans ton sourire commencent à se voir), "Now the world needs to see that it's time you should go" (Maintenant le monde a besoin de voir qu'il est temps que tu partes), "We can’t wait for the day that you’re never around" (On attend impatiemment le jour où tu ne seras plus jamais là).
Particulièrement, l'utilisation de "The world" et "We" laisse entendre que cette haine est partagée par beaucoup de monde, ce qui confirme la théorie sus-citée. Du moins, s'il ne s'agit pas de Bush, il s'agirait de quelqu'un de connu.
Mais je trouve ça bien amusant d'imaginer qu'il s'agit de Bush.


La deuxième phrase sur laquelle on s'interroge est celle-ci : "When you look at yourself do you see what I see? If you do why the fuck are you looking at me?!" (Quand tu te regardes, est-ce que tu vois la même chose que moi ? Si c'est le cas, pourquoi est-ce que tu me regardes putain ?!").
Ce passage est assurément le plus déroutant de la chanson entière. Même si, à première vu, il pourrait simplement vouloir dire "Si tu te rends compte que tu es un énorme connard, qu'est-ce qui te donne le droit de me regarder ?", quand on y regarde de plus près on s'aperçoit qu'il peut aussi suggérer que le narrateur se parle à lui-même. En effet, si l'Autre voit le narrateur en se regardant dans une glace, c'est qu'ils ne font qu'un.


Ce n'est n'est pas qu'une simple punchline comme dans le reste du texte, elle a une importance au sein de la construction même de la chanson : "Why the fuck are you looking at me?" est la seule phrase à être répétée plusieurs fois de suite, à l'exception du "Fuck you anyway" final. Cette phrase est renforcée par la guitare, et c'est d'ailleurs sa première apparition dans la track. Ca signe forcément l'importance du passage. Il arrive un peu comme un twist final venant renverser tout le texte.
D'ailleurs, quand j'ai vu Archive en 2016, un rideau se trouvait devant eux pendant toutes les premières chansons du concert. Pile au moment où la guitare a démarré après le "Why the fuck are you looking at me?", le rideau s'est décroché, accentuant d'autant plus cet effet dramatique. Un peu comme si on nous disait qu'on arrêtait de se voiler la face.


De plus, lorsque l'on écoute la chanson, je trouve que l'on visualise très bien l'homme se regardant dans le miroir en se disant toutes ces choses. Le texte commence par un portrait : la description du regard, de la bouche, avant de décrire la personnalité et les fautes de l'autre.


Si l'on suit cette interprétation, le "We won't ever meet" signifie qu'ils ne peuvent pas se rencontrer puisqu'ils sont la même personne. Et ça explique comment l'autre peut regarder l'un sans jamais le rencontrer.
Cette théorie est vraiment forte, car ça signe un texte brillant sur l'auto-dépréciation, le manque d'estime, la haine envers soi-même. Ca enlève tout le côté amusant de cette haine et la rend uniquement tragique. Un morceau triste, violent, d'un homme qui ne s'aime pas. On peut alors imaginer le portrait d'un homme hypocrite dont les autres semblent apprécier l'apparence, le masque qu'il se donne en société ("the cracks in your smile", "all the shit that you say"). Un hypocrite détesté de ceux le voyant sous son vrai jour, y compris lui-même.
Une haine tellement forte que l'homme en serait obligé de se fractionner pour conserver son identité propre, et qui en serait bouleversé de voir que son reflet le regarde.


Je tiens à préciser que le texte m'ayant fortement interrogé, j'ai commencé à l'interpréter moi-même et ai également regardé sur internet. Les deux théories sont celles qui sont le plus citées. Archive n'a jamais donné d'interprétation officielle, dès lors on peut se satisfaire de la théorie qui nous convient le mieux.
Et puis après tout ça pourrait être l'ex de George W. Bush qui parle, ou Bush lui-même, ou simplement un homme tout seul qui se déteste après une rupture (histoire de mixer les trois théories principales).


Dans tous les cas, on a une chanson brillante. C'est l'essentiel.
Et si elle ne te plaît pas, et bien.... fuck you anyway.

GagReathle
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le 17 juil. 2014

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