Au delà du partage et de la découverte, une des raisons profondes qui nous pousse à interagir sur SensCritique est d'essayer de trouver des internautes qui partagent nos passions et nos émois, dans le domaine des arts les plus consommés. Cette quête d'un double en terme d'affinités et d'émotions intimes est aussi vieille que le monde, et n'a pas attendu l'âge numérique pour guider nos actes.
L'être humain étant un animal social, cette poursuite de miroirs est finalement aussi naturelle que rassurante.
Peut-être n'êtes-vous pas convaincu par ce postulat introductif ? OK, prenons le problème à l'envers.
Si vous n'êtes que trois personnes à aimer un artiste sur cette planète, il y a en général deux solutions possibles:
1) c'est votre cousin
2) Cet artiste a moins de talent que votre banquier quand, bourré, il pousse la chansonnette paillarde en fin de repas clientèle.
3) j'ai dit qu'il n'y avait que deux solutions.
Etre nombreux à partager l'amour du travail d'un artiste (ou l'artiste lui-même, par effet trompeur) exalte le cœur et réchauffe les sens. Quand on se rend à un concert, on préfère naturellement que la salle soit pleine à craquer, et vibrer en assemblées transies, que de se retrouver à la MJC Bellegarde avec 15 clampins désœuvrés qui ont entendu un vague boucan et repéré de la bière tiède à bas prix.
Cela nous conforte dans nos choix et valide nos inclinaisons.
C'est ce même effet que l'on recherche en venant sur SC, même si on est pleinement conscient de l'aspect hyper valorisant de la singularité d'un goût (la recherche inévitablement gratifiante de l'artiste génial et maudit). Même quand l'accumulation d’œuvres pousse à affiner ses sujets d'affections et même quand on trouve dans une démarche-qui-sort-des-sentiers-battus (ou à vocation précurseure) un aspect salvateur, la recherche de miroirs subsiste.
On ne recherchera plus, à ce moment-là, le confort du plus grand nombre pour valider nos choix, mais l'appui de ceux en qui on place notre confiance.
Le double parfait étant heureusement impossible, nous finissons par développer une préférence pour ceux de nos éclaireurs qui cochent un maximum de cases. On peut alors parler de miroir à facettes.
C'est donc avec cet éclairage que l'on comprend mieux que les échanges sur SC puissent être aussi virulents, pour ne pas dire parfois violents, que sur n'importe quel autre réseau social, malgré la caution culturelle de la plateforme. On arrive sur le site pour dire tout le bien que l'on pense d'une œuvre, ou tout le mal d'une autre (mais en général on commence par ce qu'on aime), et on "match" immédiatement avec ceux qui nous félicitent dans cet élan. Puis viennent immanquablement les contradicteurs, qui nous blessent dans notre affection, et ternissent, flétrissent notre confession amoureuse. Ou raillent notre incompréhension d'une œuvre.
Car toute controverse transporte son impressionnant cortège de valeurs qui nous constituent, et qui, agglomérés, forgent nos goût. On pourra critiquer notre bagage culturel préalable, notre vision politique ou historique, interroger notre capacité d'empathie ou notre faculté d'abstraction. Toutes ces dimensions touchent à l'intime, et favorisent la sur-réaction affective, qu'elle soit positive (on voit bien les remerciements en cascades et autres effusions parfois incompréhensibles lorsqu'on se situe hors d'un réseau d'échanges) ou négative (oui, on est bien allé jusqu'aux menaces de morts ou autres gentilles intimidations à propos des enfants d'un auteur, à certaines époques…).
Il y a donc un équilibre très fin à maintenir pour être le plus serein et épanoui possible lors de nos passages par ici, en essayant de louvoyer entre jalousies ou rancœurs, dédains ou moqueries, mais aussi affections débordantes et fidélités dépassant les bornes de la logique. Les commentaires laudatifs pouvant être aussi toxiques et néfastes que les défiances claironnées et tenaces.
On le sait, un miroir est aussi traitre quand, par la grâce d'un éclairage flatteur, il vous met en valeur de manière excessive que quand il exagère les défauts de vos marques de naissance. C'est une des choses les plus compliquées au monde que d'affronter son propre reflet sans une foule de pensées parasites. D'où la nécessité de choisir, parmi ses relations sur le site, les membres les plus chaleureux mais neutres dans leurs témoignages et retours, les plus fidèles dans leurs goûts et droits dans leurs convictions. Cela prend du temps et nécessite de la vigilance, mais c'est à ce seul prix que l'on peut espérer garder ce qui pourrait ressembler à une tête froide, en évitant de ressembler à la belle-mère de Blanche-Neige, qui ne peut obtenir que mensonge ou aveu cruel.
.
Retours sur SensCritique - 1/3: Mémoire
Retours sur SensCritique - 3/3: Histoire