D'une, je n'ai jamais aimé Sophie Hunger plus que de raison. J'écoute ses albums avec intérêt, notamment 1983, que je trouve franchement bon, mais je ne crois pas avoir été bouleversée par une de ses chansons. Certains airs me reviennent — il serait plus juste de dire qu'ils restent : quelques jours et rien n'y paraît.
Et puis, surtout, j'aime Noir Désir. Je leur pardonne les quelques erreurs de jeunesse, les voies sans issue, les rimes des premières chansons, et même le côté un peu maquillée du Vent. Qu'importe, puisque cette voix (retenue jusqu'à n'en plus pouvoir, éclatée, immense, intense, chamanique, cette voix qui déraille et dont on sent les profondeurs), qu'importe, puisque cette union (c'est Bashung qui en a si bien parlé, et c'est ce qui donne sa tristesse à la chose).
Il n'y a rien de plus dur qu'une reprise. Prendre une chanson pas terrible et en faire un truc génial, ou s'attaquer à un monument, même combat, légers pourcentages de réussite.
Alors reprendre Noir Désir, non vraiment vous n'y pensez pas ?
Surtout pas cette chanson, celle qui traîne dans son ombre des poussières, des kilomètres et des kilomètres de poussières, et pourtant Sophie prend cette poussière et elle l'emporte avec elle, dans sa voix ronde, et nous avec. On dirait la poussière d'un désert rocheux, quand il n'y a plus de jour que les phares, quand seule la musique nous tient encore, (un peu) ce drive-in canadien dont je me souviens bien, la familiarité, la tranquillité des rencontres, quand brusquement on se trouve, n'être qu'à nous-mêmes, le chuintement des cordes de guitare.
Il fallait tout un corps pour reprendre ça, pour reprendre à Noir Désir leurs droits, et c'est foutrement réussi. Plus que l'originale, certainement (et ça me blesse de l'écrire). Je mets neuf par pudeur (comme j'avais mis huit à l'autre), et parce que ça dépasse le cadre d'une notation objective ou subjective ; je pourrais tout aussi bien mettre deux et ça n'aurait pas plus de sens.