La contemplation du désespoir

L'Eclusier est très certainement l'une des chansons les plus méconnues de Jacques Brel, et c'est bien injuste si vous voulez mon avis. Méconnue sans doute en partie du fait qu'il ne l'a jamais chanté au public (car composée plusieurs années après son retrait de scène).

En partie également peut-être à cause de sa structure très contemplative, typique de ses chansons de l'époque. On pense tout de suite à "Je suis un soir d'Eté", ou "Regarde bien Petit", ces chansons où l'on ne comprend pas tout, où l'on suit des personnages dont les motivations nous sont inconnues mais que l'on finit par appréhender de manière floue au fur et à mesure de la chanson et des écoutes, sans que le brouillard de mystère qui les entoure ne puisse jamais complétement se dissiper, faute d'une explication définitive de l'auteur - qui de toute façon ne serait jamais arrivée.
Dans l'Eclusier, c'est cette ambiance, triste et mystérieuse, que l'on ressent, au rythme lent et dépressif de l'accordéon. Cette ambiance semble coller à la peau de ces mariniers et marinières, ces éclusiers, qui sont là et qui ne font rien ou pas grand chose, qui observent, le long d'un canal où l'on ne se pend pas mais où en revanche l'on se noie...

A côté de cet aspect comtemplatif, on retrouve l'excellence narrative de Brel, comme très souvent à plusieurs niveau. Ici, la progression des saisons accompagne le cycle dépressif des éclusiers, jusqu'à la chute finale...

Il s'agit ici sans doute de la chanson la plus désespérée de l'œuvre de Brel - c'est dire -, et peut être l'une des plus énigmatiques. L'Eclusier est une peinture impressionniste dont les nuances de paysage se distinguent mieux à chaque écoute, mais dont la teneur variera toujours en fonction de la sensibilité de l'auditeur. On appellera cela "une grande chanson" !

https://www.youtube.com/watch?v=PmZisp71Al0