Quand la pensée s'en mêle...
Déroutant, fascinant, direct, inhabituel, surprenant, énergique, primaire : Lost , le morceau d'ouverture de l'album The cure, est tout cela à la fois.
Lost choque par sa durée (courte si on la compare aux morceaux d'ouverture des disques précédents) et par sa brutalité apparente : guitares et basse sèches, rugueuses, saillantes. Un chant aride qui monte en crescendo et qui tient plus du hurlement au final, porté par une voix puissante et éraillée. Une phrase qui revient sans cesse, comme un refrain expéditif, et s'incruste au fer blanc dans la tête de celui qui écoute. Le fameux "I can't find myself" devient alors la marque d'une sorte d'envoûtement obscur, qui plonge l'auditeur dans le même désarroi que celui qui prononce les mots : on se retrouve soudain, nous aussi, perdus, oppressés, emportés par la spirale, aspirés au centre du cyclone musical. Le tout avec une telle violence, une telle sauvagerie, que l'on comprend que Lost rappelle certains morceaux de Pornography.
"I can't find myself...". La phrase nous est déjà familière, elle devient une obsession, agit comme un virus vorace qui toucherait d'abord la tête ("In the head of this stranger in love..."), puis le coeur ("In the heart of this stranger in love..."), pour terminer par l'âme elle-même ("In the soul of this stranger in love..."). Une pathologie psychologique donc, et un thème cher à Robert Smith, présent dans nombre de ses chansons : la perte d'identité. Les doutes qui s'installent, les questions qui assaillent, les repères qui s'effacent, et de fil en aiguille, l'impression de ne plus se reconnaître, d'avoir changé, de vouloir autre chose. Lost raconte tout cela par bribes, par vagues, comme si l'auteur retrouvait sa faculté à raisonner par intermittences, replongeant entre temps dans une totale confusion. On devine dans le texte la présence d'un homme et d'une femme, et en filigrane, un problème entre eux dont on ne peut vraiment jauger la gravité, mais qui sème un trouble certain. Il est fort possible que le "him" désigne celui qui parle, confirmant ainsi l'idée d'un dédoublement de personnalité ("I got lost in someone else..."). Là encore, on ne peut qu'admirer le travail d'écriture de Smith, qui parvient à maintenir la confusion jusqu'au bout, en particulier avec ce "stranger in love", dont on ne saura jamais vraiment s'il désigne l'homme ou la femme. Quand la pensée s'emmêle... .
Perdu dans le "Labyrinth" de son cerveau (raccourci simpliste avec le second morceau de l'album, mais néanmoins sensé), égaré entre deux mondes, coincé entre deux personnalités distinctes... Le narrateur dans Lost met certainement en évidence la difficulté pour Smith, maintes fois évoquée lors d'interviews, de concilier sa vie professionnelle, qu'il considère parfois comme une vaste blague, mais dont il ne parvient pas à se détacher ("As I sing in the lost voice of a stranger in love..."), et sa vie privée (éloignement perpétuel du foyer et tout ce que cela peut entraîner). Le pire dans tout cela étant sans doute de savoir à l'avance, au fond de soi, qu'entre la musique et l'amour, ce sera toujours la musique qui aura le dernier mot, quitte à prendre le risque de perdre autre chose... .