(attention: texte dépressif et élitiste)
Imaginez qu’un soir de douce déprime, un œil morne devant votre écran en sourdine, vous vous mettiez à zapper paresseusement.
La déprime, bien entendu, peut venir d’une multitude de raisons. Un peu fatigué, vous pouvez en effet:
- avoir entendu dans les secondes précédentes un débat concernant l’application de l’éco-taxe en Bretagne
- avoir pris connaissance du résultat de votre équipe favorite dans un sport peuplé, côté tribunes, de demeurés divins qui ont fait de leurs contradictions intimes une hygiène de vie et, côté terrain, de neurasthéniques du neurone qui envisagent de faire grève alors que le plus connu d’entre eux touche en un mois l’équivalent de 75 smic annuels
- vous être levé le matin en vous disant que vous alliez trouver au moins une bonne raison d’aimer votre boulot et le monde dans lequel vous évoluez
- avoir entendu pourquoi une portion de plus en plus importante de vos concitoyens souhaitent renvoyer chez eux des hordes d’apatrides menaçants tout en clamant qu’ils voudraient eux aussi s’exiler pour mieux pouvoir jouir sans entrave de leur troisième 4/4 dont l’usage sera cependant ignoré de l’éco-taxe dont nous parlions plus haut.
- ou tiens, avoir publié une critique ayant le mérite de ne pas être trop longue et comporter un ou deux jolis moments, dans une indifférence quasi-générale, au moment même où un tâcheron sans âme proposait un brouet informe concernant un film insipide que tout le monde a vu il y a 10 ans, texte roboratif comportant à la fois très peu d’âme et énormément de fautes d’orthographe (oui oui, plus qu’ici même), et récoltait une trentaine de likes en moins d’un quart d’heure.
Bref.
Vous en êtes là, enfoncé dans vos pensées moroses, lorsque vous tombez sur la fin d’une des innombrables émissions décérébrées où vous voyez se trémousser en musique, avec des sourires démesurés et infinis, de béats candidats à d’improbables jeux télévisé dont la question finale consistait quelques secondes avant à déterminer combien de chiens possède la princesse Kate ou si Victor Hugo était plutôt connu pour avoir écrit des livres ou pour avoir popularisé la recette du Sunday Caramel.
Vous jetez un œil distrait sur votre collection de disque (oui, on imagine que vous êtes vous êtes vieux), réprimez un larme devant l’infinie richesse que vous propose ces étagères minutieusement emplies par les années, et vous vous demandez soudain à quoi cet éventail de 800 ans de musique (oui, vous pouvez avoir un coffret de musique médiévale, acquis à vil prix il y a des années, perdu, là, au fond) peut bien servir.
Les gens qui dansent depuis 25 ou 30 ans sur les quatre mêmes airs et s’extasient tous les ans devant le même film lors de sa 30eme rediffusion ont finalement raison. Contrairement à ce que prétendait un article des Inrocks relatant une étude norvégienne, les femmes et les hommes "cultivés" ne sont certainement pas plus heureux que ces poulets de batterie décervelés qui prennent un pied absolu et monumental sur du Claude François ou le diner de cons à chaque fois qu’ils l’entendent ou le voient, œuvres intemporelles qui constituent l’horizon indépassable de leur univers artistique.
Et puis soudain, vous vous rendez compte qu’on prête à un grand illuminé fictif cette phrase qui résume le constat que vous venez d’établir, en cinq mots lapidaires et avec une sagesse toute ancestrale: "heureux les simples d’esprit".
Putain, même Jésus s’y met.
Vous voilà obligé de rajouter une dose de Prozac dans votre whisky.