"Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher."
Ces quelques lignes qui concluent de l’Albatros de Baudelaire vous paraissent d'une beauté littéraire inexprimable? Et bien vous devriez apprécier (à n'en point douter) la chanson présente sobrement intitulée "Manu dans l'cul" écrite et composée par le plus grand poète de notre époque : "Saez"! En effet, analysons les paroles : il y est question d'un certain "Manu" auquel on somme de prendre ses affaires et de rentrer chez lui...on devine facilement qu'il s'agit de notre bon président, un homme franchement impopulaire qui croule sous les huées à l'image du poète dans les quelques lignes de Baudelaire citées précédemment. Ici, le prince des nuées est changé en prince des hués du fait de son impopularité et, pour lui aussi, ses ailes de géant (liées à son statut social élevé) l'empêchent de marcher car son parti politique "En marche" ne marche plus précisément...Manu ne peut plus prendre son envol à l'image même de l’albatros...il doit se résigner, rentrer chez lui, ou plutôt...rester sur place du fait qu'il demeure à l’Élysée.
Après ces quelques références baudelairiennes que seuls quelques esprits affûtés comme le mien ont pu identifier, Saez nous soumet une critique du pouvoir politique en place qui réussit l'exploit de marier poésie ET analyse socio-économique précise et implacable! Notre poète favoris cloue le bec de l'autorité souveraine avec force et impertinence : "Et Manu ferme la, quand tu prends tes grands airs Tes airs de petit bourgeois qui chie sur le populaire Avec ta gueule de petit roi, avec ta gueule de princière Qui ferait mieux de retourner sous les jupons de sa mère". C'est assez subtile en réalité, mais ici Saez évoque implicitement le sublime poème de Mallarmé "Le vierge, le vivace, et le bel aujourd'hui" et plus précisément l'extrait suivant : "Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne, Il s’immobilise au songe froid de mépris Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne." Le cygne renvoie bien entendu à la royauté (à la monarchie plus précisément) et donc au sus-dît Manu, tandis que le bel aujourd'hui est celui de la délivrance : d'une part celle de Manu qui se soulage copieusement sur le bas peuple (ainsi que l'indique Saez) et d'autre part le soulagement du peuple lorsque Manu accomplira (sous les conseils avisés de Saez qui s'improvise ici thérapeute) "l'exil inutile" consistant à retourner sous les jupons de sa mère. L'exil est inutile, en effet, car pour des raisons évidentes, le cygne royal Manu a déjà tout ce dont il a besoin auprès de lui...d'ailleurs un peu plus loin Saez poursuit son analyse qui empreinte aussi bien à Mallarmé qu'à Freud dans un registre strictement thérapeutique : "va baiser ta vieille" suggère t'il!
Il s'agit ici d'une référence délicate à Freud comme je l'ai indiqué mais également au non moins célèbre mythe d’œdipe dont s'inspire Freud dans son analyse du complexe du même nom : craignant la castration et prenant le père comme modèle structurant l'enfant désire secrètement la mère, à la différence qu’œdipe en vient à "baiser sa vieille" accidentellement à cause d'une vengeance de divinités vis-à-vis de son propre père biologique. La position de Saez sur ce point est hautement novatrice et singulière ici : il faut accepter son destin et faire l'amour avec sa mère, ne plus refouler ses désirs et les embrasser pleinement! Destin ou désir inconscient...dans le fond quelle importance? Le peuple galère comme le rappelle si bien Saez à différentes reprises dans son chef d'oeuvre avec une fougue et une impertinence qui n'est pas sans rappeler Boris Vian lorsque celui-ci déclarait écrire une lettre ouverte s'adressant au président dans son non moins génial "Le déserteur". Jugez plutôt : "Et je dirai aux gens:
Refusez d'obéir Refusez de la faire N'allez pas à la guerre Refusez de partir S'il faut donner son sang Allez donner le vôtre Vous êtes bon apôtre Monsieur le Président" Il est question dans "Manu dans l'cul" de Saez du même mouvement insurrectionnel du peuple qui refuse d'être pris davantage pour un instrument : "Il est l’heure ouais d’aller racketter le milliardaire
Pour que la liberté devienne solidaire À Nice ils ont leur poing levé, c’est sûr de pendre le banquier
D’enlever la nationalité, à leur CAC 40 d’enculés." le style est proche, on retrouve une même finesse d'écriture mais sur le fond Saez s'avère un tout petit peu plus "offensif" dans son approche.
En effet, si Boris Vian était prêt à se laisser tuer par son propre pays sous prétexte qu'il refusait de servir les intérêts de ce dernier en guerre, le refus de participer à cette grande guerre économique actuelle pour Saez se manifeste bien plutôt dans le fait de "pendre des banquiers" ou encore de "racketter le milliardaire". Alors, Saez et Marx : même combat? Pour approfondir ce passage socio-économique qui s'avère le plus complexe de la chanson, je vais devoir m'appuyer sur le concept de "luttes des classes" de Karl Marx afin d'éclairer une violence textuelle qui n'est qu'apparente et sert un propos, en réalité, pertinent : à savoir "qu'en tout temps et en tout lieu, l'histoire n'a jamais été autre que la lutte des classes" (Manifeste du parti communiste), et que le socle idéologique des institutions est bel et bien conditionné par la bourgeoisie qui est la classe dominante. Lorsque Saez nous chante de sa voix suave et mélodieuse : "Oh non ils ont pas honte ces gens là, de sucer la bite aux médias Salariés du grand financier, esclavagiste, humanité" ce n'est ni plus ni moins que l'aliénation du peuple aux moyens dont dispose le pouvoir pour l'influencer qui est évoqué, "sucer la bite aux médias" signifie en réalité faire montre d'une dévotion et d'un amour malsain pour ceux qui permettent d'asseoir la domination de l'élite bourgeoise. Il y a donc, en un sens, une dépendance (cf : le suçage de bite qui, on le devine, est une addiction ici) des dominants (qui se croient tout puissants) à d'autres intermédiaires (les médias ici) pour assurer le contrôle de la classe dominée. Le plus fort n'est donc pas le plus fort de manière absolue et sa force ne fait pas droit au sens stricte du terme car le jour où les médias ne seront plus satisfaits du suçage de bite pratiqué par Manu ils risquent fort de ne plus vanter ses mérites de suceur prodigieux, ici l'ombre de Rousseau relevant un tel paradoxe au début de son Contrat Social n'est pas loin... Esclavagiste et humanité, quelle différence? Chacun est l'esclave de quelqu'un, et Saez nous offre cette terrible réalité sur un plateau d'argent.
Enfin, ce poème destiné à être chanté ne ferait "que" rivaliser avec les analyses de Marx ou avec les poèmes de Baudelaire, de Mallarmé, ou de Vian s'il ne comportait pas quelques références historiques subtiles, recherchées, et tout à fait à propos : "Avec un bon gros coup de pied au cul, mon vieux il va falloir rendre les clés Crois-moi la France elle en peu plus, de voir ta gueule à la télé Des petits discours de corrompus, toujours, toujours pour nous saigner Putain aller casse toi Manu, je crois bien que Brigitte elle va chialer C’est sur quand on va passer te voir salope pour régler la note Pour te foutre la fessée cul nu, pour te foutre la gueule au fond des chiottes" Ce passage à la fois poétique et violent (curieux paradoxe n'est-il pas?) ne peut qu'être l'oeuvre d'un génie : on pense immédiatement à la décapitation de Marie Antoinette (substitué par une noyade fécale de la reine actuelle de France) et à la révolution française, le fond des chiotte représentant certainement le pire endroit où une personne aimerait se trouver d'un point de vue social...il s'agit donc du mouvement d'inversion du rapport dominant à dominé via une dictature du prolétariat auquel aspirait Marx bien évidemment encore une fois!
Le mouvement de domination qu'incarne parfaitement la sodomie par sa bestialité étrangère à toute forme d'amour met en scène cette inversion des rapports dominants/dominés de façon tonitruante dans les vers suivants : "Et le politique qui encule son peuple, et le politique qui encule son peuple Et le politique qui encule son peuple, politique l’encule Et le peuple encule le politique, le peuple encule le politique Et le peuple encule le politique, et le peuple encule Manu dans l'cul"
Enfin, Saez ne serait pas Saez (à savoir le plus grand poète de son temps) s'il n'était pas un artiste engagé ET courageux, ce dernier sachant qu'au moment où il a écrit de telles paroles tour à tour subversives, poétiques, et un tantinet provocatrices (mais toujours de manière subtile) il a en réalité défié une tyrannie proche du sinistre régime de Vichy qui, jadis, séquestra et tortura Jean Moulin : "Je crois tous les petits culs planqués, du grand royaume des collabos Tu crois bien nous mettre en taule, frangin nous serons Jean-Moulin Et tu sais ça nous fera une piaule pour avoir chaud jusqu’à demain" La prison, la torture? Bof, Saez aura au moins un endroit pour dormir la nuit et continuer à inspirer moult révolutionnaires prêt à prendre le pouvoir et renverser la monarchie actuelle...rien ne l'effraie!
Avec Manu dans l'cul le cygne blanc de la royauté macronienne poussait alors son dernier chant...tandis qu'au loin résonnait la voix lyrique et puissante d'un Saez plus inspiré que jamais ayant définitivement mis à mal la terrible dictature oligarchique en place.
Historique et sensationnel!