Miserere
9.3
Miserere

Morceau de Gregorio Allegri ()

La route file droit, parallèle à la mer dont le souffle se perd dans les talus, dans cette région où la nature est plus verte, le ciel plus fantasque et l'iode plus mordant qu'ailleurs, même dans l'été finissant.
Je roule plein ouest vers le soleil couchant qui m'éblouit, dans une merveilleuse solitude troublée seulement, de loin en loin, par de rares automobilistes pressés d'atteindre leur but.
Le mien est une abbaye romane aussi simple que belle, dressée depuis un millénaire dans son village endormi, et le concert qu'elle abritera ce soir.


S'y presse déjà la foule habituelle, mélange estival disparate de fidèles qui ne laisseront pas échapper l'occasion d'un passage différent à l'église, de vacanciers désoeuvrés attirés là par les bons soins de l'office du tourisme et de mélomanes plus ou moins avertis. Les sièges sont inconfortables et les rangs serrés, mais peu importe, le silence se fait, le chef donne le la et la musique naît.


S'attend-on jamais à être autant frappé, happé, bouleversé par la beauté de quelques notes ?
À s'abstraire de soi au point d'oublier où l'on est, qui l'on est, et de ne pas se regretter ?
À désirer aussi ardemment se fondre dans la plénitude d'un chant parfait, à laisser son âme fuser de concert avec une voix si ample et généreuse, que ce contre-ut, si difficile à atteindre pour d'autres, ne semble pour elle qu'un jeu d'enfant ?
Cet aigu impossible, par quelle grâce le trouve-t-elle, s'y installe-t-elle et le fait-elle enfler jusqu'à la voûte, jusqu'au ciel, avant de le poser en toute douceur et de redescendre sans se presser, comme à regret, pour mieux recommencer, exploit renouvelé cinq fois, dix fois, qui sait ?


Dans la nuit qui me ramène chez moi, déjà en manque, je glisse le CD aussitôt acquis dans le lecteur. La route est vide. Au loin, dans les champs qui la bordent, les moissonneuses à la récolte trouent l'obscurité de leurs projecteurs et quand la voix de nouveau s'élève, on dirait qu'elle fait venir à elle toutes les étoiles du firmament.


Ce Miserere, le pape le voulait pour lui tout seul.
Mozart, tel Prométhée volant le feu du ciel, en a fait don à l'humanité.
Grace Davidson, cette soprano exceptionnelle, magique, l'interprète avec l'ensemble vocal de Nigel Short, Tenebrae.


https://www.youtube.com/watch?v=H3v9unphfi0

Ratdebibli
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le 3 avr. 2018

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