C'est vrai ? Cette chanson a vraiment existé ? Cette chanson a, Vraiment, existé ?
Le chantage.
Cette arme, souvent françaaise, mais pas que, fatale, si bien déclinée dans l'art. Elle consiste à dénier le droit de critiquer un objet sur des critères artistiques au nom de la cause que cet objet veut défendre. Au cinéma, les exemples des films autour de la Shoah sont assez connus. En chanson, c'est l'environnement. Noah, Maé et autres défoncent les portes des écoles pour y porter leur bonne parole écotartuffe.
Ce chantage, je m'y soumets. Respire, concentre-toi. Bon. J'oublie la structure, la production désespérément plates de cette chanson. J'oublie la purulence des clichés musicaux, j'oublie ce souffle du début qui te rappelle le titre au cas où tu ne le sais pas, j'oublie cette espèce de boîte à rythmes humaine, ou pas, on ne sait pas trop, qui sait autant ce qu'elle fout là que mon curé chez les nudistes. J'oublie cette seconde voix féminine. J'oublie ces vaseuses virgules de guitare. J'oublie tout le jeu de guitare d'ailleurs, tant on ne saurait y déceler le moindre fossile d'inspiration, tant j'ai mal pour l'Affaire Louis' Trio et les Innocents de voir leur style parodié ainsi, tant ce dialogue acoustique et électrique est vu et revu tant je... Respire, respire. Bon. J'oublie.
Ah oui, j'oubliais. J'oublie aussi le style de chant. J'oublie cette manière de poser sa nonchalance tout près du micro, si tendance en 2003 dans la chanson françaaise, cette nonchalance infra-impressionniste narrant en filigrane tout l'engagement du chanteur dans son enregistrement, comme un chocolat de Lindt est engagé dans un steak haché. J'oublie que Furnon, à ce jeu, perd de loin face à Biolay et Delerm.
Je me suis purgé de toute séditieuse pensée, voilà.
Maintenant, je peux commencer ma critique, je respire un coup et j'y vais.
(Je l'ai vraiment fait en plus) La cause. La cause. Concentrons-nous sur la cause. La pollution, c'est mal. Respire-la. Non ? Ah non, respire avant que la pollution ne t'en empêche. La pollution... de qui, de quoi ? Je ne sais pas, mais ta descendance va se rapprocher du génome des cyclopes. Sérieux ? Pas mal. Ah si, si c'est mal.
J'écoute la chanson en boucle, histoire de déceler la profondeur du message, la profondeur des tournures poétiques.
...
J'ai un trou. Je suis dans un état second. J'ai envie de conduire des 4x4. J'ai envie de défoncer des Na'vi à coup de tronçonneuses. Mach 4. Avec du butane. Eux et leurs arbres.
Je relève la tête. J'inspire. J'expire. Mes yeux se mouillent et mon cœur, lui, serre. Je lis le journal La Décroissance, j'écoute et apprécie les Cowboys fringants qui ont eux décliné la même cause en kilos de chansons qui ont chacune leur mérite. Bon.
Je compte les points. En voilà un : ce morceau me permet de reconnaître un intérêt comparativement plus élevé au "Poème sur la 7ème" écrit par Philippe Labro, chanté par Johnny. Effroyablement kitsch et finalement drôle, Johnny y tente vainement de s'énerver sur un fond sonore magnifique (Beethov'). Le texte est surtout effroyablement manichéen : "Il y avait des enfants, des rivières, des chemins, des cailloux, des maisons? C'est vrai? Ça a vraiment existé?". Seulement, il a un rythme, des lignes chorales, une Tentative de progression narrative.
Le truc de Furnon ? Le néant. L'effroyable néant.
(C'est vrai que c'est le mec qui a commis "J'ai demandé à la lune". J'y reviendrai.)
Un palier épique passé dans le manichéisme.
En résumé, il y a la pollution petit, c'est de ta faute gamin, et demain c'est l'apocalypse, et la pute, ce sera toi.
On se lave si souvent les mains sur le dos des nouvelles générations pour apporter le Changement ; le début du truc montre que Furnon fait exactement pareil. A ceci près qu'il ajoute que toi gamin, tu ne pourras plus faire comme lui. Et c'est trop tard pour le Changement. Et puis c'est tout. T'es couillonné, en fait.
Par conséquent, profite du peu de répit qui reste pour consommer un maximum.
Voilà, j'ai failli, j'ai été séditieux, la snobinardise m'a conquis, je suis détestable (mon nez est crochu d'ailleurs).
Je suffoque !
Je lâche prise.
2003. J'étais lycéen. J'ai aimé, parce qu'il le fallait.
Le chantage.
[Merci à K-A, Tubulamarok, Ed-Wood pour m'avoir donné courage]