Je ne suis pas forcément familier des critiques de morceaux, mais le blanc laissé sur cette pierre angulaire du rock me fend le coeur. En guise de prolégomènes, je dirais que les Stones ne sont pas mon groupe préféré; je connais trop mal, ne maîtrisant qu'une poignée d'albums sur le bout des doigts - et "Beggars Banquet" n'en fait pas encore partie, car j'ai du mal à accrocher au blues acoustique du groupe, même si c'est objectivement excellent - et la discographie me paraissant à priori trop tentaculaire et inégale.

Ceci étant dit, voici un morceau imposant, inévitable, inoubliable, inégalable peut-être. Dans son genre - que j'aurais bien du mal à définir - c'est un sommet. Le texte, délicieusement provocant (surtout à l'époque mais encore aujourd'hui), les feulements et autres jérémiades de Jagger, entre séduction et répulsion grotesque, les deux soli acérés et foutraques de Keith, les percussions endiablées et l'incursion tardive du piano et de la basse quand Jagger a fini de déblatérer son texte diabolique... tout est parfait, bien senti et bienvenu. Et pour ceux qui ont la flemme d'apprendre cette messe noire et de chanter avec le conducteur de cérémonie, ils se contenteront de faire les inimitables choeurs en "ouh ouh", c'est bien suffisant.

Seulement voilà, le morceau étant ce qu'il est, il suscite des difficultés multiples : le jouer en live déjà : pas une version ne me convainc vraiment, même celle, sympathique, de "Shine a Light". Godard en a fait un film, et pour que sieur Godard se déplace, c'est signe du potentiel intérêt de l'affaire. Toutefois ce film, je ne l'ai point encore vu (mea culpa). Autre mince affaire : reprendre "Sympathy for the Devil". Aïe. Pourtant, les Guns N'Roses en bout de course en livrent une version hard et honnête pour la bande son de Entretien avec un vampire. Si le tout est un peu naphtaliné, trop propre, trop sage, pas assez sexy et que la voix d'Axl n'est pas comparable à l'instrument de Jagger, un certain Slash parvient à faire oublier quelques instants Keith Richards, qui, je l'avoue, ne compte pas parmi mes guitaristes fétiches, au contraire du ténébreux chapeauté.

Bref, il n'y a qu'une seule autre chanson dans toute la carrière des Stones qui ait à la fois l'aura et les dimensions de cette bombe atomique, et il s'agit en fait d'une sorte de jumeau angélique à "Sympathy for the Devil", en la présence gospel de "You Can't Always Get What You Want", l'époustouflant finale de ce qui reste pour moi LE disque des Stones, "Let it Bleed". Je ne dis pas que le groupe n'a pas fait d'autres chansons géniales, mais elles ne sont pas de cette espèce ou de cette ampleur particulière, même si parfois de longueur comparable ("Midnight Rambler", sur le même "Let it Bleed") ou supérieure (l'éprouvant "Goin' Home" qui eût mérité plus d'étroitesse, sans doute - sur l'excellent "Aftermath").

A noter que, monument culturel - osons-le, artistique - oblige, "Sympathy for the Devil" apparaît fréquemment à la TV ou au ciné, et avec un beau succès dans le très bon "C.R.A.Z.Y.", qui a la belle idée d'associer ce moment satanique à une élévation spirituelle dans une église - tout le but de "You Can't Always Get What You Want" en fait. L'un commence un disque et en épuise presque d'emblée tous les succès, l'autre conclut un chef d'oeuvre avec panache, mais mon coeur penche tout de même pour le plus canailles des deux. Ouh ouh ! comme diraient-ils, et puis :

"So if you meet me, have some courtesy
Have some sympathy, and some taste."

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le 9 janv. 2013

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Krokodebil

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