Un son de guitare en crescendo venant de nulle part, ou plutôt du néant, d'un gouffre, d'un abîme. Un cri sur le fil du rasoir, poussé par une voix rauque et éraillée, se mêlant au son trituré de l'instrument. C'est ainsi que commence "The promise", l'avant-dernier morceau de l'album éponyme de The Cure. Un morceau dont on ne s'étonnera presque pas de la durée (plus de 10 minutes), tant son titre en lui-même, "The promise", est source d'interrogations, d'envies de découvrir, de sentir ce qui se cache derrière cette promesse ultime, LA promesse... Rien que ça. La seule, l'unique, celle qui porte autant d'espoirs que de peur de ne pas pouvoir la respecter... Aux premières secondes donc, lorsque cette guitare incisive surgit du plus profond de la terre, bientôt suivie par cette voix éclatée, notre esprit est déjà totalement submergé d'émotions, obsédé par cette question : quelle est donc cette fameuse promesse dont Smith souhaite nous parler ?
En fait, il ne nous faut que quelques secondes de plus pour comprendre que cette promesse aura laissé un goût amer au fond de la gorge, qu'elle aura porté tellement d'espoirs, trop d'ailleurs, que ceux-ci n'auront pas pu survivre à la déception d'un homme. Avec le temps, les espoirs se sont distillés au plus profond de l'âme, et chaque goutte, dans sa noirceur absolue née de la déception, ajoutée à une autre, puis à d'autres, a fini par créer un cloaque interne grouillant de malheur, une liqueur immonde, sombre mais vivace comme le coeur d'un volcan, qu'un séisme intérieur a fini par faire remonter à la surface, avec une violence infinie, tel des jets de lave brûlants de douleur.
Ce cri qui déchire l'obscurité... Puis la guitare qui jaillit, s'égare, rebondit dans les recoins de la tête, puis commence à (ré)animer le corps de manière épileptique, le fait tressaillir, sursauter, arraché à l'apathie par des mouvements encore anarchiques. L'esprit se reconnecte, les souvenirs reviennent, les reproches peuvent commencer : "How time will heal, make me foget, you promised me...". La basse martèle sa ligne lancinante, la guitare déverse son magma sonore, la tension monte. Une boule d'électricité maintient debout ce corps à l'esprit torturé, obsédé par l'idée de trouver des réponses à ses questions, répétant souvent les mêmes phrases simples, dont le fameux "You promised me...", sorte de remontrance ultime.
Qui est donc ce "you" ? A qui Smith s'adresse-t-il vraiment ? Dieu, sa femme, lui-même, quelqu'un ou quelque chose d'autre, comme le destin ? Impossible d'en avoir le cœur net. Toujours est-il qu'à présent, la guitare répand du son partout, creuse la peau et les boyaux, provoque des plaies béantes, s'insinue dans les veines, devient le sang qui coule à flots, prend aux tripes, les retourne. La guitare devient hachoir, coupe, cisaille, elle représente la douleur, le conflit existentialiste interne qui se joue. Et c'est entre la 6ème et la 9ème minute de "The promise" que le message devient on ne peut plus clair : cet homme a essayé de croire de toutes ses forces en LA promesse, pensant pouvoir guérir de la douleur avec le temps, mais il n'y croit plus et fait aveu d'impuissance. Tout cela n'était-il donc que mensonge ? La déception l'emporte et la violence atteint son paroxysme, entre hurlements et instruments guidés par la sauvagerie. "I pushed down the pain and I waited... Trying to forget...". A l'intérieur, tout explose et vole en éclat, tandis que l'homme se débarrasse de la rage et des frustrations qu'il a contenues pendant trop d'années.
"And I waited... And I'm still waiting...". La tempête se calme et la colère fait place à la tristesse, à la résignation. Il est impossible d'oublier tous les espoirs déçus... Smith nous révèle que nous n'avons finalement pas d'autres choix que de rêver à la promesse d'une vie meilleure... Mais comment supporter cette attente interminable, sachant que l'homme, éternellement insatisfait, la considérera toujours comme un mythe ? Fort heureusement, "Going nowhere", dont le titre est d'ailleurs un beau pied de nez à cette interrogation, est là pour nous apporter la réponse... .